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sur lesquelles l’état prussien a jusqu’à présent reposé en sûreté ; qu’en ce qui concerne l’empire allemand, les droits constitutionnels de tous les gouvernemens confédérés devront être scrupuleusement respectés ; qu’il respectera aussi les droits du Reichstag, mais qu’en retour il convient d’exiger du Reichstag et des gouvernemens un semblable respect pour les droits de l’empereur. » Il n’annonce aucune réforme politique, mais il parle une langue nouvelle. A la raison d’état, ce conservateur libéral substitue « comme loi suprême le développement de la prospérité publique. » Il estime aussi que l’état doit prendre à cœur les intérêts de la science et de l’art : « Peu soucieux de l’éclat des grandes actions qui apportent la gloire, je serai satisfait si plus tard on dit de mon règne qu’il a été bienfaisant pour mon peuple, utile à mon pays et une bénédiction pour l’empire. »

Paix au dehors ! paix au dedans ! La politique de combat ou de marchandage sera remplacée par une politique de détente et de conciliation. « Je veux, dit Frédéric III, que le principe de tolérance religieuse, que depuis des siècles ma maison a tenu pour sacré, continue d’être une protection pour tous mes sujets, à quelque confession qu’ils appartiennent. Chacun d’eux est également près de mon cœur ; tous n’ont-ils pas également, aux jours de danger, prouvé leur absolu dévoûment ? » Cette déclaration a sûrement déplu à M. de Bismarck ; il l’a qualifiée sans doute de proposition hérétique, incongrue et malsonnante. Il n’admet pas qu’on se souvienne des services rendus, il ne tient compte aux partis que des services qu’ils peuvent rendre encore. Il n’admet pas non plus que la liberté religieuse soit un principe et que ce principe soit sacré. Cette liberté, comme toute autre, n’est à ses yeux qu’une matière à négociations et à marchés. Il désire ne l’accorder aux catholiques que dans la mesure où ils la mériteront par leur obéissance, par leur empressement à lui complaire. Si on leur accordait tout ce qu’ils demandent, ils deviendraient indociles, ingouvernables ; il est bon qu’ils aient toujours quelque chose à souhaiter, quelque chose à craindre ; c’est par la crainte et l’espérance qu’on tient les hommes. En lisant ce paragraphe du rescrit, M. de Bismarck a dû secouer la tête et faire de sombres réflexions sur les dangers que court un pays quand son souverain a l’imprudence d’avoir, des principes et d’affirmer tout haut qu’il en a. Mais le chancelier s’est rassuré bien vite : son imprudent empereur ne peut mettre au service d’une politique de confiance et de paix que la languissante volonté d’un malade, et les intentions ne sont pas des actes.

Depuis longtemps, M. de Bismarck voyait avec quelque souci approcher l’heure où il aurait à compter avec un nouveau maître, et il s’occupait d’assurer sa situation personnelle, de se prémunir contre tous les hasards. Il tenait pour certain que l’empereur Frédéric III n’aurait