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et employa des milliers d’hommes à rechercher pour lui les plantes et les animaux de l’Asie. A l’avènement de Philippe, le colossal monument qu’Aristote devait élever à la science n’était pas debout, mais l’artiste était à l’œuvre dans les profondeurs de sa pensée. Venu après deux siècles d’efforts, faits par l’esprit grec pour pénétrer les secrets du monde physique et moral, Aristote rassembla tout en lui pour tout féconder. Il dressa l’inventaire des connaissances humaines, en porta d’un coup quelques-unes à leur perfectionnement et ne dédaigna pas l’étude des êtres les plus infimes, qui ont fait de nos jours, et de nos jours seulement, une si brillante fortune. « Dans les œuvres de la nature, dit-il, il y a toujours place pour l’admiration, et on peut leur appliquer à toutes sans exception le mot qu’on prête à Héraclite, répondant aux étrangers qui étaient venus pour s’entretenir avec lui. Comme ils le trouvèrent se chauffant au feu de sa cuisine : «Entrez sans crainte, entrez toujours, leur dit le philosophe, les dieux sont ici comme partout. »

L’Histoire des animaux, que Cuvier admirait et qu’il faut admirer encore[1], ouvre l’ère de la science véritable, c’est-à-dire de la vérité cherchée expérimentalement dans la nature, comme Socrate l’avait cherchée dans l’homme. Jusqu’alors, on avait deviné; Aristote observa. À ce grand livre se rattachent les traités sur les Parties des animaux, la Génération et la Corruption; sur la Sensation et les choses sensibles ; sur la Marche, le Mouvement des animaux et l’Ame, ou plutôt le principe de vie qui réside dans la plante, l’animal et l’homme, chez qui elle s’élève à une intelligence presque divine. Il en écrivit bien d’autres sur les Auscultations physiques, les Météorologiques, le Ciel, où il eut le tort de ne pas accepter la doctrine pythagoricienne de la rotation de la terre. Mais il n’est donné à personne, quelque vaste que soit son génie, de devancer l’œuvre des siècles. Aussi, dans les traités d’Aristote se trouve-t-il des erreurs, qui toutefois étonnent moins que la rencontre qu’on y fait de vérités qui semblent d’hier et d’une science qui n’avait pas eu de précurseur... prolem sine matre creatum.

On nous permettra de ne nommer aussi qu’en passant sa Rhétorique

  1. M. Milne-Edwards, dans le Rapport que je l’avais prié de faire, en 1867, sur les progrès récens des sciences zoologiques, dit encore de l’Histoire des animaux : « En lisant les écrits d’Aristote, on est étonné du nombre immense de faits qu’il lui a fallu constater, peser et comparer attentivement pour pouvoir établir plus d’une règle que les découvertes de vingt siècles n’ont pas renversée. » Dans son Traité de la génération, il a créé l’embryogénie, science qui a attendu jusqu’à la fin du XVIIe siècle pour attirer de nouveau l’attention des savans. (Cf. B. Saint-Hilaire, Comptes-rendus de l’Académie des Sciences morales, décembre 1886, p. 817 et suiv.) Aristote crut à la doctrine de la génération spontanée, mais cette doctrine n’a succombé que de nos jours; n’a-t-elle pas même encore quelques rares partisans?