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tourbillonne sur l’Atlantique, balayant une mer heurtée dont les vagues s’écrasent les unes contre les autres, devait être envisagée par l’Hirondelle comme beaucoup plus grave que tous les autres dangers du voyage.

Les savans et les marins sont aujourd’hui presque unanimes sur les manœuvres à faire pour fuir la région centrale d’un cyclone qui avance ; mais l’application de ces formules exige du calme et du jugement, car elle présente, aux petits bâtimens surtout, des risques sérieux ; aussi avais-je creusé la question dès l’époque où cette campagne d’Amérique fut résolue.

Le plus brillant des chefs sous lesquels mes débuts ont eu lieu m’avait dit un soir, dans la mer des Antilles, où le temps orageux menaçait d’aggraver les obstacles d’un passage difficile : « A bord, le marin ne doit pas seulement être prêt à toutes les luttes, mais son esprit doit encore se frayer d’avance un chemin parmi l’enchaînement des faits possibles, car ici, plus que jamais dans sa vie, les événemens surgiront tout à coup, et les fautes commises amèneront des suites graves ou irrémédiables. Pendant les heures de votre quart d’officier, comme plus tard durant vos insomnies de capitaine, accoutumez votre esprit à la prévision des incidens capables de survenir, et à l’examen de ce qu’il faudrait faire dans tel ou tel cas ; l’habitude prise ainsi vous guidera plus sûrement vers cette décision, cette promptitude d’analyse, si fréquemment nécessaires à bord, et pour lesquelles vous aurez préparé les voies. » Plus que jamais ces paroles ont pesé sur mes actes durant la campagne de 1887, si aventureuse pour l’Hirondelle ; aussi la succession foudroyante des événemens qui se produisirent le 23 août a-t-elle trouvé notre défense toute prête.

Le navire courait en bonne route quand les prodromes de l’ouragan se révélèrent par des rafales violentes du sud-sud-est et les oscillations folles du baromètre, sous un ciel étrangement bouleversé.

Il était huit heures du matin ; on continua de marcher à la plus grande vitesse que permettait une mer grossissante. Bientôt le vent recula vers le sud, les grains se multiplièrent dans un milieu plus jaune ; leur altitude baissait, et l’on eût pu croire qu’ils allaient toucher les mâts.

Un trouble particulier, dont la nature nous échappe, exerce quelquefois sur la matière vivante son influence prémonitoire à l’approche des agitations intenses de notre planète ; il passe alors sur l’organisme humain comme une onde mystérieuse qui déconcerte les sens et inquiète le jugement.

Le cyclone enveloppait maintenant très vite notre goélette, qu’une triste fortune semblait condamner à finir sa carrière, et