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la mer. Deux navires sont-ils en présence ? leurs sirènes s’avertissent mutuellement, mais le brouillard fait souvent dévier la marche du son et cause par là des erreurs fatales. S’agit-il d’un iceberg, d’une épave ? L’un, vraie montagne flottante, marche en silence, excepté quand une mer houleuse s’engouffre et gronde dans les cavernes creusées sur ses flancs ou fracasse les portiques, les colonnes, les immenses festons, tout ce décor devenu fragile sous la chaude influence du sud ; l’autre est un cadavre flottant, parfois submergé, sans fournir nul indice qu’une frange d’écume avec un bruissement léger, rien de plus que l’agitation des herbes froissées par le vent à la surface onduleuse d’un cimetière.

Une publication américaine, le Pilot Chart, signale chaque mois, par dizaines, les navires ainsi abandonnés et rencontrés sur l’Atlantique. On peut, grâce à elle, suivre la marche capricieuse de ces blocs dangereux que les coups de vent se renvoient dans les limites du courant général, et dont beaucoup sans doute regagnent le tourbillon des « Sargasses, » quand ils ont résisté jusque-là. Deux cas entre tous démontrent la persistance du danger qu’une épave semblable peut faire naître. L’Oriflamme fut abandonné, en juin 1881, par son équipage, qui n’avait pu maîtriser le feu à bord ; on se trouvait dans le Pacifique, vers 1,300 milles dans l’ouest de la côte péruvienne. Quatre mois plus tard, un steamer, le Iron-Gate, allant d’Australie à la côte occidentale de l’Amérique du Nord, aperçut, par 13° 27’ de latitude sud et 125° 19’ de longitude ouest, un bateau errant, brûlé, sans mâts, l’Oriflamme selon toute apparence. Le 12 février 1882, une coque incendiée fit côte sur l’île Raroria, archipel des Pomotou, et les indigènes y trouvèrent une cloche qui portait en gravure : Oriflamme 1865. Sans nul doute, ce navire avait flotté huit mois encore sans équipage, et il avait parcouru ainsi 2,840 milles (5,260 kilomètres), porté sur le courant équatorial sud.

Une autre épave, une goélette, également abandonnée, la Twenty one Friends, avait été revue une première fois sur la côte orientale des États-Unis, non loin de la baie Chesapeake ; puis, entraînée par le gulf-stream, elle remonta beaucoup plus haut en latitude et gagna rapidement dans l’est. Elle se dirigea ensuite au sud-est, rapprochant le golfe de Gascogne, et se fit voir en dernier lieu, le à décembre de la même année, vers 130 milles du cap Finisterre d’Espagne, après avoir dérivé pendant huit mois aussi, sur une longueur de 3,500 milles (6,480 kilomètres), et avoir été reconnue par vingt-deux navires.

Mais ces deux cas de flottage extraordinaire sont moins saisissans que le fait, unique peut-être dans les annales maritimes, d’un train de bois récemment expédié de la Nouvelle-Ecosse pour