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compartiment de la Renaissance, où sont réunis sous un portique, avec la même adresse pittoresque, les grands lettrés qui l’ont illustrée, Ronsard, Rabelais, Ramus, Budée et quelques autres. C’était une occasion de fixer, aux yeux de la jeunesse studieuse, dans un endroit fréquenté, les images, de tous ces glorieux représentans de la pensée française. M. Flameng s’est contenté d’asseoir, sous le portique, sur un banc, Rabelais souriant à un beau cavalier, en pourpoint bariolé, qui se dandine en pliant sa cravache ; tous leurs autres compagnons d’étude et de gloire, sont relégués au loin et dispersés sur les gazons. Tout cela est exécuté avec une verve, avec un esprit, avec un talent que le public apprécie et qu’il est juste de reconnaître. On pouvait cependant espérer mieux encore, et que M. François Flameng traiterait avec la fermeté grave de l’historien ces grandes scènes historiques, tandis qu’il s’est contenté de les traiter avec la verve amusante d’un brillant illustrateur.

C’est, du reste, dans ces grandes compositions destinées aux monumens publics qu’on s’aperçoit combien la haute culture littéraire, qui tenait tant de place dans les ateliers français aux XVIIe et XVIIIe siècles, fait aujourd’hui défaut à nos artistes. L’habitude de n’exécuter, en général, que des figures isolées d’après nature, et de ne les considérer qu’au point de vue de l’exécution matérielle, sans leur attribuer aucune signification intellectuelle ou morale, les laisse tout à fait désemparés et affolés lorsqu’il s’agit de grouper, dans une action déterminée, un certain nombre de figures, d’un caractère précis ou d’une signification complexe. Il est clair, d’ailleurs, que ce n’est pas en un jour qu’on répare ce défaut des habitudes antérieures ; aussi faut-il savoir gré à M. Benjamin Constant, ayant à représenter les Lettres et les Sciences pour la salle du Conseil académique, de n’avoir point forcé son talent en cherchant des compositions plus significatives, plus intéressantes, plus compliquées, et de s’en être tenu à ranger, suivant sa coutume, dans un milieu éclatant, des figures isolées et juxtaposées. Il a pu ainsi donner le maximum de son talent de coloriste, qui ne s’était jamais exprimé avec tant d’ampleur. Dans le panneau de gauche, quatre femmes en blanc, assises sur un banc, sous un portique soutenu par deux colonnes de marbre rouge, ouvrant sur la perspective d’un coteau gazonné, personnifient les différentes formes de la littérature. Une cinquième, drapée de vert, l’Éloquence, se tient debout en déclamant. Les physionomies très individuelles de ces Muses, fermement accentuées, dénotent des intelligences plus passionnées que méditatives, plus ardentes que pondérées. La première seule, une blonde fraîche, grasse et souriante, couronnée de bluets et de coquelicots, d’une grâce robuste et attrayante, semble avoir connu, au moins au théâtre, la poésie classique. Ce caractère de force et