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cherche avec raison à se dégager des habitudes de peinture brutale et sombre, à contrastes heurtés, que ses premiers ouvrages semblaient révéler. Tous les tons noirs, accumulés, comme le sujet l’exigeait, dans son tableau n’ont pas encore de souplesses assez nuancées, surtout dans les vêtemens. Cependant le jeune artiste a fait un grand pas, puisqu’il a compris que la tristesse des sujets ne s’exprime pas forcément par la pesanteur monotone d’un coloris épais et sale.

L’envahissement du noir et des opacités qui en sont l’ordinaire conséquence est un danger auquel n’échappent pas toujours les peintres de sujets populaires, quand leur sentiment de peintre n’est pas à la hauteur de leur sentiment d’observateur. Un peu de clarté, quelques notes moins lugubres, n’enlèveraient point leur intérêt ni au Banc d’attente à la Clinique de M. Perrandeau, sur lequel sont rangées plusieurs pauvres plébéiennes malades, attendant le médecin avec des airs d’abattement, de désespoir, d’anxiété touchans sans emphase et navrans sans affectation ; au Collier de misère de M. Geoffroy, le peintre attitré des gamins, qui, sur une rue montante de Montmartre, attèle, à un haquet chargé d’un misérable mobilier, un de ces pauvres petits gavroches en compagnie de son vieux père essoufflé ; ni aux Tireurs d’arbalète de M. Buland, aux types si vrais et si nets, mais entassés sans lumière et sans air, dans un cadre trop bas qui leur écrase la tête. Avec un sentiment plus juste des nécessités de son art, M. Gœneutte, traînant, le long d’un quai de Paris, A la fin du Jour, un groupe éreinté de bohèmes musiciens, père, femme, fillette, dans la brume piquée des rougeurs lointaines du gaz, se sert habilement des dernières lueurs du crépuscule pour éclairer la trogne couperosée du chef de famille drapé dans ses loques verdâtres, les allures languissantes et résignées de sa compagne, enveloppée d’un vieux tartan rouge, et les joues pâles de la chétive enfant dont le sourire égaie ce couple de déclassés. C’est simple, triste, pénétrant, avec un charme grave d’exécution, charme dont nul peintre ne se peut dispenser, sous peine de n’être plus un peintre. On a remarqué aussi, dans une note plus claire, deux toiles de M. Latouche, l’une attendrissante, l’Accouchée, l’autre presque comique à force de vérité, Décembre, où la franchise de l’observation est bien mise en relief par la souplesse de l’exécution.

MM. Marec, Perrandeau, Gœneutte, procèdent suivant la vieille loi des simplifications et des concentrations. M. Dantan, dans la Consultation, en faisant ausculter une jeune fille à demi nue par un docteur en présence de deux sœurs de charité, M. Gelhay en faisant disséquer un canard par deux étudians dans le Laboratoire d’anatomie comparée au Muséum, M. Gueldry, en suivant le travail des