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mondains. Il va sans dire que, sur ce chapitre, il s’est mis en frais pour sa fille. Celle-ci est une belle et élégante personne, assise, les cheveux flottans, les mains croisées, dans une attitude modeste qu’on rencontre rarement au Salon, où la plupart des femmes portraiturées, même les demoiselles de bon ton, affectent des allures singulièrement cavalières et impertinentes. Sa casaque de velours violet à doublure rouge, sa jupe de soie violette à revers orangés, sa robe courte de reps gris tendre, accompagnées d’un fonds de tenture en peluche d’or, font retentir, autour du fin visage un peu ambré et des délicates mains blanches, un concert de colorations éclatantes et douces qui eussent ravi Nicolas Maes et Largillière. Tout cela, cette fois, accordé, maîtrisé, tempéré, comme il convient, avec l’autorité d’un artiste mûr et accompli, au profit de la tête jeune et gracieuse dont toutes ces fraîcheurs brillantes semblent refléter la jeunesse et la grâce. M. Carolus-Duran ne nous donne donc pas cette année seulement une fête des yeux ; il nous donne encore une fête de l’esprit, il se classe, parmi les portraitistes, à un rang supérieur. Son succès et celui de M. Bonnat sont également encourageans et moraux, car ce sont les succès du travail, de la persistance, de la conviction ; et ce sont aussi les succès de la peinture saine et robuste, grasse et ferme, riche et réjouissante, de la peinture telle que l’ont comprise toutes les écoles bien portantes, telle que la comprenaient nos maîtres de 1830, Géricault, Delacroix, Decamps, Troyon, lorsqu’ils se sont battus pour elle contre les héros secs et vides sortis de l’atelier de David. Aujourd’hui que nous courons des dangers bien pires, puisque nous n’aurions même plus la correction du dessin pour nous consoler de la disparition de la couleur, aujourd’hui que presque tous les brosseurs de toiles, décorateurs, impressionnistes, modernistes, laissent évanouir à qui mieux mieux, sous prétexte de distinction, la substance picturale dans des brumes effacées d’une subtilité fuyante, il faut savoir bon gré à ceux qui restent sains dans ce milieu maladif, il faut remercier ceux qui regardent la nature avec franchise et l’analysent avec fermeté, ceux qui crient à haute voix, fût-ce à propos d’un simple portrait : « L’art c’est la vie, c’est la santé, c’est la force, c’est la joie. Nous, les peintres, nous avons été, nous sommes, nous serons ses prophètes ! »

Sans doute, ces procédés francs et rapides, parfois brutaux, à la flamande ou à l’espagnole, de MM. Carolus-Duran et Bonnat, ne seraient pas applicables à toute espèce de portraits, et l’on doit concevoir, à côté de la leur, des manières plus tendres et plus délicates d’exprimer la physionomie humaine. Rubens n’exclut pas Van Dyck, Rembrandt ne supprime pas Ter Borch ; au contraire, on peut dire qu’ils les font valoir et qu’ils les rendent nécessaires. En effet, les praticiens