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associations heureuses comme il y a des rencontres fâcheuses ou des unions indifférentes. La célébrité ou la richesse de leurs cliens de hasard ne suffisent pas toujours à exalter en eux cette ardeur sympathique qui se traduit par l’intensité de la pénétration et la chaleur de l’interprétation. Quelle que soit leur habileté ou leur conscience, ce ne sont pas leurs portraits les mieux rétribués qui d’ordinaire sont leurs chefs-d’œuvre ; leurs amis, leurs protecteurs, leurs maîtresses, leurs femmes, leurs enfans ont toujours chance d’être mieux servis, c’est pour eux que leur pinceau travaille le mieux, parce qu’il travaille sans gêne, sans servilité, sans condescendance, sans autre souci que d’immortaliser une image aimée et connue. Le Balthasar Castiglione de Raphaël, le Bourgmestre Six de Rembrandt, la Femme et les enfans d’Holbein, les Fils de Ru-bens, restent, entre mille autres, des exemples justement fameux de ces inspirations intimes. M. Carolus-Duran, comme M. Bonnat, a eu, cette année, deux de ces bonnes fortunes en représentant sa fille et un de ses amis, un des doyens de la peinture française, que son âge rendrait vénérable si sa santé et sa bonne humeur ne se refusaient obstinément à cet hommage, M. Français. Le Portrait de M. Français) un simple buste, comme celui de M. Jules Ferry, presque à l’état d’ébauche, aura les mêmes titres à prendre place dans un musée national. La virtuosité de l’improvisateur y éclate plus vivement encore, avec des allures particulières de joie triomphante. L’armature osseuse est moins solide, les dessous sont moins accusés que chez M. Bonnat, mais le visage épanoui d’un paysagiste doit-il ressembler au visage fatigué d’un homme d’état ? Si le dedans est moins compliqué, combien le dehors est plus calme, plus simple, plus communicatif ! Vigueur du corps, clarté de l’esprit, calme du cœur, toutes les santés respirent dans ce visage ouvert, aux belles chairs fraîches, aux lèvres roses souriant dans le désordre de la barbe argentée, aux yeux fins d’un bleu tendre. L’aimable patriarche est coiffé d’un béret de velours noir dont l’ombre douce mêle délicieusement une note un peu plus grave dans cette harmonie d’argent, de rose et d’azur. On ne peut comparer ce savant impromptu qu’à quelques morceaux de Rubens ; même saveur, même brio, même vibration harmonique, avec une transposition de majeur en mineur, de rouge en rose, d’or en argent. Le Portrait de ma fille est une œuvre plus achevée et plus importante. Le père n’a pas moins bien réussi que l’ami. On connaît, depuis longtemps, l’habileté de M. Carolus-Duran à étaler des étoffes voyantes, à faire chanter, en de splendides accords, les miroitemens des soieries, les matités des lainages, les chatoiemens des velours ; c’est même par ce beau luxe des vêtemens qu’il a transfiguré plus d’une fois l’insignifiance de ses modèles