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qu’en effet les religions d’état antiques ne lui déplaisaient point.

Je sais bien que, quoi que j’en dise (car je veux être aussi loyal que Benjamin Constant, toujours très consciencieux dans le débat, et qui ne cache jamais l’objection), je sais bien que, quoi que j’en dise, l’élément purement personnel est très considérable dans quelque religion que ce soit. La religion n’est pas seulement association spirituelle ; elle est d’abord esprit, et, sans doute, il le faut bien ; elle est d’abord instinct du mystérieux. Constant se promenait un jour avec Bonstetten et devisait avec lui de l’origine des idées religieuses ; Bonstetten lui dit : « L’homme actif rencontre au dehors des résistances et se fait des dieux ; l’homme contemplatif éprouve au dedans un besoin vague et se fait un dieu. » C’est vrai ; il y a une religion personnelle et intime qui est contemplation, adoration de l’inconnu qui nous précède, qui nous suit et qui nous entoure, besoin que nous sentons de lui dire que nous ne sommes rien devant lui, qu’il est infini et nous néant, besoin encore de nous associer humblement à cette force immense, en y adhérant par le soin de la reconnaître et la bonne volonté à nous y soumettre. Il nous semble que c’est une communication avec le grand mystère que de le concevoir et d’en pénétrer notre esprit. Contempler Dieu, c’est le réfléchir. « Au fond de nous, dit M. Renan, est comme une fontaine des fées, claire, verte et profonde, où se reflète l’infini. » Cela est vrai, et la religion considérée comme association spirituelle n’est que ce sentiment même retrouvé par chacun dans les autres. Mais ce sentiment-là, qui serait le dernier refuge de Benjamin Constant, et où, en effet, il essaie de se ramener sans cesse, le malheur est que, sans aucun doute, il ne l’éprouve aucunement. On le voit à la façon dont il en parle. C’est toujours d’une manière gauche, courte et qui n’a rien de pénétrant. Mme de Sévigné disait en souriant : « Comment peut-on aimer Dieu quand on n’en entend pas bien parler ? Il faut des grâces particulières. » De Constant on a souvent envie de dire : « Comment peut-on bien parler de Dieu quand on ne l’aime point ? Il y faudrait des grâces spéciales. » Elles ne lui ont point été données. Il dit de Wieland : « Il voudrait croire, parce que cela conviendrait à son imagination, qu’il voudrait rendre poétique. » Ce n’est pas seulement à Wieland que cette remarque est applicable. Quand on lit De Maistre, on a toujours l’idée d’un catholique qui n’est pas chrétien ; quand on lit Constant, l’idée peut vous venir d’un protestant qui n’est pas très protestant, mais qui est plus protestant que déiste. Il a trouvé le moyen d’avoir une religion qui n’est pas une croyance ; il y tient comme à la négation de ce qu’il repousse ; et comme son libéralisme est une manière de fermer sa porte, sa religion est une