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Le roi Milan n’est point sans étonner un peu par ses aventures, qui n’ont pas été toujours heureuse, est par ses coups de tête, qui n’ont pas toujours été des plus profitables pour la Serbie. Il fait des expériences avec les partis. Il a voulu, il y a quelque temps, appeler au pouvoir les radicaux serbes : il a formé avec eux un ministère présidé par le général Gruitch; il leur a donné toute latitude et même son appui pour faire élire une assemblée où ils dominaient. Il espérait assurément se servir d’eux pour ses vues particulières du moment. Il n’a pas tardé cependant à s’apercevoir qu’il ne pouvait guère compter sur ses alliés d’un jour, que son expérience avec les radicaux allait lui créer des embarras, soit dans ses relations avec l’Autriche, dont il entend rester l’ami, soit dans l’administration intérieure, et il a commencé à prendre de l’humeur. Il y a quelques semaines, à l’ouverture de la skouptchina, il avait déjà saisi l’occasion d’une grande réception pour traiter assez cavalièrement ses députés et les rappeler à l’ordre. Les députés n’en ont fait ni plus ni moins, ils n’ont pas même écouté le ministère qui les représentait au pouvoir. Ils ont rejeté un traité de commerce avec l’empire austro-hongrois. Ils ont voté une loi de décentralisation qui allait mettre l’anarchie dans les communes; ils ont voulu voter une réforme militaire dont l’unique résultat devait être de transformer l’armée en milice confuse et impuissante. Ils ont prouvé, en un mot, que là comme partout ils ne savaient que désorganiser. Le roi s’est impatienté; il a brusquement faussé compagnie aux radicaux, il a congédié le ministère Gruitch, et il a formé un nouveau cabinet, à la tête duquel il a placé M. Christitch, qui s’est signalé, il y a quelques années, par la répression impitoyable d’une insurrection.

C’est un ministère de réaction, si l’on veut. M. Christitch a déjà commencé la guerre aux radicaux. Il a même mis à la retraite comme général l’ancien président du conseil, M. Gruitch, qui a commis par dépit quelques indiscrétions et a voulu se représenter comme une victime de l’Autriche. M. Christitch s’est hâté d’adresser à tous les fonctionnaires du royaume des circulaires pour raffermir partout l’autorité ébranlée, et un de ces jours sans doute, il fera, lui aussi, ses élections, par lesquelles il aura son assemblée docile, comme les radicaux ont eu leur skouptchina. C’est la loi en Serbie ! Le nouveau ministère du roi Milan n’aura pas cependant, à ce qu’il semble, une vie facile. Il aura vraisemblablement à combattre des agitations qui commencent déjà et qui, en se propageant, en se liant sur les frontières aux agitations de la Bulgarie, de la Macédoine, pourraient contribuer à compliquer, à aggraver la situation des Balkans. Quant à la politique extérieure de la Serbie, elle n’est pas, selon toute apparence, sensiblement modifiée. Le roi Milan a la prétention d’avoir sa diplomatie, qu’il ne livre pas à ses ministres. Il a lié sa cause à la cause de l’Autriche, et, quoiqu’il y ait dans le royaume bien des adversaires, même des adversaires passionnés