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ou Phèdre, on hésiterait à jurer que c’est là des citations, tant ces morceaux choisis adhèrent à l’ouvrage et participent à l’action : — jusqu’aux Deux Pigeons, qui prennent ici une vertu dramatique!.. Est-ce pour Rachel, enfin, qu’Adrienne Lecouvreur a été faite, ou ne serait-ce pas pour la Champmeslé?.. Il se pourrait bien que ce fût un divertissement commandé à Corneille, à Racine, à La Fontaine, — Et à quelqu’un d’autre encore, — pour Sa Majesté le public!.. Le certain, c’est que ce divertissement est noble : Sa Majesté peut le goûter en conscience.

A présent, voyons par où triomphe Adrienne entre tant de pièces fameuses : rassurés sur la dignité de notre plaisir, voyons comment ce plaisir même existe. Agamemnon, Mithridate et la plupart des héros de tragédie sont trop loin de nous et d’une condition trop supérieure à la nôtre : nous ne pouvons nous mêler à leurs débats. Il va sans dire que des personnages de notre siècle et de notre espèce ne seraient jamais d’une compagnie bien flatteuse. A quoi pensé-je, d’ailleurs? Le spectacle qu’ils nous donneraient ne serait pas noble! Mais les gens que voici, par bonheur, sont juste à la distance qu’il faut et du rang le plus convenable pour que leurs aventures aient un air de grandeur, et que nous puissions y prendre part. Ils ne sont pas décourageans, et nous sommes bien aises pourtant d’être admis dans leur compagnie. Sans se croire cousin de Mithridate ou d’Agamemnon, qui de nous ne se juge capable de vivre sous Louis XV, et non pas, s’il vous plaît, dans le tiers-état, entre le Père de famille et le Philosophe sans le savoir, mais dans les plus brillans cercles de l’époque? L’occasion est ici merveilleuse: avec de grands seigneurs et de grandes dames, ce ne sont que des comédiens, et, particulièrement, une comédienne à la mode; — Les deux genres de société que rêve un bourgeois français!.. «Ah! ma chère! un marquis!..» disait la fille de Gorgibus, Madelon, à sa cousine Cathos : « Ah! mes enfans! » se disent leurs arrière-neveux, «une princesse, un comte (bâtard d’un souverain!) et une comédienne célèbre!.. « Ils ne peuvent douter de leur bonheur; la princesse de Bouillon elle-même (pourquoi une « princesse » de Bouillon, sinon parce que princesse est plus que duchesse, et qu’on n’a rien épargné?), la princesse nous l’assure : la scène se passe «dans les salons du grand monde. » Et nous ne les quittons, un acte durant, que pour nous transporter au foyer de la Comédie-Française. Oui, parfaitement, nous y avons nos entrées, dans ce cabinet de travail des Muses, dans ce cabinet de toilette des Grâces; nous sommes d’heureux coquins! Et vous, mesdames nos épouses, que pensez-vous de cette fête offerte à votre curiosité? Au foyer! nous sommes au foyer, et sous Louis XV ! Mme de Duras et Mme de Villeroy, en ce temps de libres mœurs, allant voir la Clairon au For-l’Évêque, n’étaient guère