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empêcha le Dauphiné d’y envoyer aucun député ; il écrivait à l’assemblée (1er février) pour en presser la séparation : « Il ne sera point besoing que je vous envoie personne, aussy bien ne le puis-je faire, comme vous estes assemblez sans permission du roy ; non que je me veuille départir de vostre main, j’y veulx demeurer ferme et servir à l’église de Dieu en la profession de nostre religion, jusque au dernier soupir de ma vie. »

À ce moment même, Deageant travaillait à la conversion de Lesdiguières et disputait devant lui de la prédestination et de la communion avec un professeur du collège de Dye, nommé le Visconte, « subtil philosophe, Italien de nation, qui avait été catholique, mais qui pour lors était de la religion du duc[1]. » — « Le duc, au dire de son secrétaire, fut très ébranlé par les argumens de Deageant, et, d’une autre part, il était très pressé « par la duchesse, qui avait eu commandement du roy d’ayder à l’avancement de cette affaire, car elle était considérable à la cour, à cause du grand crédit qu’elle avoit auprès de luy. Il résolut sa conversion, mais il voulut qu’elle fût secrète pour trois principales raisons : l’une, afin qu’il eût moyen, avant sa déclaration, de s’assurer des places qu’il tenait, ce qu’il prétendait faire en appelant tous les gouverneurs auprès de luy pour leur lier les mains et pour les empescher de résister à sa volonté, l’autre afin d’obvier aux importunitez qui luy seroient faites sur ce sujet par ceux de sa religion, tant dedans que dehors l’estat, le troisième afin qu’il pût mieux disposer toutes choses pour ce regard, au consentement de Sa Majesté et à l’avantage de son service. » Là-dessus, Deageant lui donna parole, de la part du roi, que la connétablie serait rétablie en sa faveur sitôt qu’il se serait déclaré catholique.

Le secret ne fut pas si bien gardé qu’il n’en transpira quelque chose, et Luynes projeta de garder pour lui-même l’épée de connétable. Il envoya en Dauphiné un de ses agens, le marquis de Bressieux, pour essayer de faire renoncer Lesdiguières au projet dont Deageant lui avait parlé et pour obtenir qu’il se contentât de l’emploi de maréchal de camp général. On comprend la colère de Lesdiguières : il dissimula pourtant et avertit Deageant. Luynes lui envoya plus tard Bullion, pour l’amener à renoncer à la connétablie, le maréchal mit encore Deageant dans le secret; il le trouva dans sa chambre à Vizille et se répandit en plaintes amères : il n’était pas homme à être traité ainsi; il croyait, sans vanité, mériter ce qu’on lui avait promis. Il contenait un million d’hommes, qui pourraient allumer un feu qu’aucun favori ne pourrait éteindre.

  1. Vidal, p. 354.