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Nemours avait encore une fois profité de l’absence de Lesdiguières ; il s’était jeté sur le Viennois, et s’était emparé de Vienne, de Saint-Marcelin, sans que d’Ornano pût l’arrêter. Mais ces succès furent éphémères, et il se retira bientôt en Savoie, laissant seulement des garnisons dans Vienne, aux Échelles et dans Mirebel. Le roi de France entreprit alors de faire un grand effort contre le duc de Savoie, et résolut de l’attaquer dans ses propres états. Il commit à Lesdiguières le soin de commander cette expédition. Celui-ci assembla ses forces dans la vallée d’Oulx, les partagea en deux corps, dont l’un prit le chemin de Pignerol et l’autre celui de Suze. Il s’empara des vallées de la Pérouse, de Saint-Martin, de Lucerne, avec les tours, forts et châteaux qui s’y trouvaient. Il fit investir le Vigan et allait l’attaquer, lorsqu’à la demande des consuls, il consentit à se retirer, quand il fut lui-même attaqué par les Piémontais. Il força leurs barricades et leur tua 700 hommes. Deux passages étaient assurés aux Français, qui se trouvaient au-dessous de Pignerol dans la plaine et au Vigan, où ils se retranchèrent fortement et amenèrent quelques canons. À ce moment, Lesdiguières demande qu’on lui vienne en aide et qu’on lui donne le moyen de poursuivre ses succès ; il écrit au roi que le duc de Savoie le recherche et veut traiter avec lui ; on lui écrit d’attendre les secours des petits princes d’Italie et de Venise ; pour ce qui est de traiter directement avec le duc : « Toute l’Italie a les yeux sur vous, et si, après avoir si bien commencé, vous faisiez cette faute, vous seriez le plus perdu des hommes de réputation qui lût jamais. »

Le duc de Savoie voulait seulement amuser Lesdiguières par un simulacre de négociations ; celui-ci n’avait que des moyens insuffisans, on le laissait manquer d’hommes et d’argent. Profitant de ce qu’il partait pour conférer à Beaucaire avec le duc d’Epernon et avec Ornano, le duc de Savoie rentra dans la plupart des places que Lesdiguières avait prises les années précédentes. Il attaqua d’abord Mirandol et l’emporta de force, puis Lucerne, qui est sur les passages du Dauphiné en Piémont ; il se tourna contre Cavours et en assiégea le château : « À la vérité, Sire, écrivait Lesdiguières au roi, ce château est l’une des places fortes de la chrétienté ; je le tiens imprenable ; il n’y manque ni soldats, ni vivres, ni pouldres, ni canons, mais je crains le défaut d’une seule chose, c’est de l’eau. » Il se plaint, se lamente ; il a entrepris cette guerre allègrement, mais on le laisse manquer de tout ; si on ne lui donne des moyens suffisans : « non-seulement le Piedmont se perd, mais le Dauphiné court fortune après, sur lequel sans doute tombera tout l’orage. »