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La grande difficulté, pour les maisons collectives, consiste dans la nécessité de les gérer. L’incertitude des rentrées, la difficulté d’obtenir à jour fixe le paiement du terme, avec une population qui vit au jour le jour, la surveillance incessante qu’exige le maintien de l’ordre et de la propreté dans des maisons aussi peuplées, le mélange de fermeté et de douceur qu’il faut déployer pour se faire obéir du personnel qui les habite, tout cela demande des qualités de premier ordre et qu’on ne peut guère rencontrer chez les agens salariés qui servent d’intermédiaires aux compagnies. Une pareille gestion veut une surveillance constante et l’intervention personnelle des membres de la société. C’est, là sans doute, une mission pleine d’ennuis et de dégoûts ; mais lorsqu’on voit une femme s’y dévouer, comme Mme Octavia Hill, et s’en acquitter avec un succès semblable, il me semble qu’on peut bien tâcher de l’imiter. Chacun sait, du reste, qu’on ne fait pas le bien sans qu’il en coûte, et, quand il s’agit de panser les plaies sociales, il faut faire comme les chirurgiens et braver les répugnances.

La question en vaut la peine, et l’intervention des classes aisées est indispensable pour la résoudre. Un jour viendra sans doute où les ouvriers pourront faire leurs affaires eux-mêmes ; mais ils n’en sont pas encore là, et la façon dont ils comprennent les problèmes sociaux ne permet pas de compter sur eux pour en trouver la solution. Il faut les étudier à leur place et s’occuper de leurs intérêts, sans qu’ils aient à s’en mêler. C’est un devoir pour les classes éclairées.

Si la direction des affaires publiques leur a échappé pour passer aux mains de ceux qui sont incapables de conduire leurs propres affaires, il leur reste un terrain qu’on ne peut pas leur enlever, c’est celui des questions sociales. Les classes instruites ont seules les connaissances qu’exige leur étude, et les capitaux nécessaires pour les faire passer du domaine de la théorie dans celui de la pratique. Il faut poursuivre cette œuvre difficile jusqu’à l’époque encore éloignée où ceux qu’elle intéresse pourront s’en charger à leur tour. Cette protection affectueuse et dévouée est l’obligation étroite qui incombe aux aînés dans la famille sociale comme dans l’autre, et c’est en l’accomplissant, sans découragement comme sans faiblesse, qu’on triomphera de la défiance et de l’hostilité qui animent encore les classes inférieures contre celles qui les dirigeaient autrefois, bien que la force des choses ait conduit celles-ci à abdiquer entre leurs mains.


JULES ROCHARD.