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pour loger tous les travailleurs honnêtes et rangés, il ne faut compter ni sur l’initiative des intéressés, ni sur la spéculation. En France, les ouvriers ne sont pas habitués à s’entendre, à se concerter entre eux, comme les travailleurs anglais. Ils sont tout aussi intelligens, mais ils sont indifférens aux problèmes sociaux et n’ont d’ardeur que pour la politique. Quant à la spéculation, elle ne peut produire que ce qu’elle a déjà donné, d’immenses constructions incommodes, insalubres, mais peu dispendieuses et d’un excellent rapport. Les capitalistes honnêtes hésitent à placer leurs fonds dans des entreprises que l’insolvabilité des petits locataires rend incertaines et dont on ne peut retirer un bénéfice sérieux qu’à la condition d’exploiter son immeuble sans répugnance comme sans merci. Cette nécessité fait reculer les gens qui se respectent.

L’état peut encore moins se charger de remplir ce rôle. Il ne doit pas plus être constructeur et propriétaire d’immeubles, qu’il ne doit se faire industriel, commerçant ou agriculteur.

Plus les peuples avancent dans les voies de civilisation et moins l’action de l’état doit s’y faire sentir. Demander à la société de venir en aide à tous ceux de ses membres qui sont dans le besoin, de les loger, de les soutenir dans toutes les phases de leur existence ; exiger d’elle qu’elle leur assure du travail pendant la période active de leur vie, une retraite sur leurs vieux jours, et qu’elle accorde une pension à leurs familles après leur décès, c’est la plus dangereuse des utopies. L’école socialiste, en prônant ces doctrines comme une panacée, a soulevé contre elle le bon sens public, et fait le plus grand mal aux classes pauvres. Il faut laisser le socialisme d’état aux pays dont le gouvernement autocratique doit tout diriger et tout faire.

Dans une démocratie où les droits de tous sont égaux, il est injuste de contraindre les uns à travailler pour nourrir les autres, et il est insensé d’espérer que tout le monde pourra vivre sur le fonds commun. Dans la question des logemens ouvriers, en particulier, l’état ne peut et ne doit accorder que son patronage. Sa mission se borne à porter la lumière sur la question, par des enquêtes comme celles qui ont été faites en Angleterre et en Belgique, et à donner l’exemple sur son propre terrain.

L’état, et c’est chose fort regrettable au point de vue économique, a conservé certains monopoles. Il est demeuré fabricant de produits, tels que la poudre, les cartes, les allumettes; il a ses manufactures d’armes, de tapis, de porcelaines ; la marine a ses arsenaux, la guerre a les siens. Tout cela emploie des quantités considérables d’ouvriers envers lesquels l’état a les mêmes devoirs que les autres chefs d’usines. Le premier de tous, c’est de leur assurer la stabilité