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que les locataires étaient parvenus à rendre habitables par des prodiges de soins et de propreté, et, comme il leur témoignait son étonnement de les trouver dans un pareil bouge : «C’est, lui répondaient-ils, parce que nous avons une nombreuse famille et que les propriétaires de nos maisons ne toléraient pas les enfans[1]. »

Une nombreuse famille n’est pas la seule cause qui force les ménages honnêtes à se réfugier dans ces taudis, souvent c’est l’impossibilité de payer leur terme. L’ouvrier vit au jour le jour. Qu’il survienne un chômage, une maladie, un malheur quelconque, et le voilà dans l’impossibilité de s’acquitter. On l’expulse, et, dès lors, il n’a plus d’asile que dans ces repaires de la misère et du vice. Une gêne momentanée l’y plonge; mais il n’en sortira plus, parce qu’il ne tardera pas à y perdre, dans le découragement, le goût du travail, de la propreté et de la vie régulière.

Lorsqu’on veut arracher les ouvriers à ces nécessités redoutables, la difficulté contre laquelle on vient se heurter tout d’abord, c’est l’impossibilité de compter sur des rentrées régulières. Les propriétaires dont je parlais tout à l’heure s’en tirent en faisant la part du feu. Leur taux de location est si élevé qu’ils peuvent subir la perte des termes qui ne rentrent pas ; mais les sociétés qui ne spéculent pas, et ne retirent de leurs capitaux que l’intérêt le plus modeste, sont incapables de supporter de pareils sacrifices. On peut y réussir, toutefois, à l’aide d’une gestion habile : le prix des loyers est encore assez élevé pour cela. Malgré le nombre exagéré des constructions neuves et la crise que nous subissons, la baisse est faible sur les grands appartemens et nulle pour les petits. Les sociétés de construction peuvent, par conséquent, supporter la concurrence; du reste, un premier essai va se faire sous nos yeux : un philanthrope, qui, jusqu’à présent, a désiré garder l’anonyme, vient de créer une fondation considérable, pour bâtir à Paris des maisons ouvrières sur le modèle de celles de Lyon. Le prix des loyers accumulés servira à construire de nouvelles habitations, dans les conditions du legs Peabody.


IV.

Le problème du logement ouvrier est, comme on vient de le voir, plus compliqué qu’il ne le semble au premier abord. Il ne comporte pas de solution radicale, pas de formule générale. Les maladies sociales n’ont pas de panacée : les remèdes qu’elles réclament diffèrent suivant les pays et le chiffre de la population. lis

  1. 0. Du Mesnil, l’Habitation du pauvre à Paris, p. 10 et 11.