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plus tard ; mais il est évident que ce n’est là qu’une expérience, et que le bien matériel qui en est résulté est bien peu de chose à côté de ce qui reste à faire dans une ville où la population ouvrière dépasse 1 million.

La Société d’Auteuil a réussi parce qu’elle s’est adressée à l’élite de la classe ouvrière, à des gens sobres, rangés, dont le salaire est relativement élevé et qui peuvent, en signant leur contrat, verser un acompte d’au moins 500 francs. Ces ouvriers-là sont partout une exception et trouvent toujours un logement convenable; ce sont les autres dont il faut s’occuper. Ils sont de beaucoup les plus nombreux, et on ne peut pas songer, dans une ville comme Paris, à leur procurer une maison par famille. Un ingénieur qui s’est beaucoup occupé des habitations ouvrières, M. Gacheux, en a donné les raisons dans les communications qu’il a faites, en 1880 et en 1883, à la section d’économie politique et de statistique de l’Association française pour l’avancement des sciences. Il a construit, passage Boileau, dix maisons qui lui ont coûté 36,000 francs et qu’il revendues, au même prix, à la Société d’Auteuil. Les frais de construction, comme on le voit, n’ont pas été considérables; mais les dépenses accessoires : la canalisation d’eau potable, l’écoulement des eaux ménagères, les frais d’administration, en ont notablement élevé le prix, et, quoique la gestion soit gratuite et que les actionnaires ne retirent même pas 4 pour 100 de leurs fonds, une maison, comprenant trois pièces avec cuisine et dépendances, ne peut pas être vendue moins de 8,780 francs, payables en vingt ans par annuités de 439 francs. Les constructeurs peuvent arriver à bâtir pour 3,000 ou 4,000 francs ; mais, la ville ne faisant aucune concession pour la voirie, le prix de la propriété se trouve doublé et dépasse la somme qu’un travailleur peut consacrer à son habitation.

Le même ingénieur a construit, boulevard Murat, des habitations dans lesquelles il a réalisé plusieurs des types de maisons ouvrières adoptés à l’étranger. Elles lui sont revenues à plus de 5,000 francs chacune. Il les a vendues, avec un lot de terrain de 100 mètres, moyennant un loyer annuel de 600 francs, pendant quinze ans. Une trentaine d’ouvriers sont ainsi devenus propriétaires; mais, d’après ses calculs, il y a tout au plus à Paris 4 pour 100 de la population ouvrière qui soient en état de payer un loyer semblable, même en réunissant les gains de tous les membres de la famille.

Il faut donc reconnaître que, dans les grandes villes, la maisonnette est inaccessible à la plupart des ménages d’ouvriers. Dans toutes les classes de la société, du reste, c’est un grand luxe que de demeurer seul, et, de même qu’un modeste hôtel est plus