Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/405

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donation Peabody, l’un des actes de libéralité les plus intelligens et les plus splendides que la charité ait accomplis de nos jours.

Peabody était un jeune homme sans fortune, n’ayant pour réussir que son intelligence et sa bonne volonté, lorsqu’il entra comme commis, en 1812, dans une maison de commerce des États-Unis. Il fit vœu, s’il s’enrichissait, de consacrer ses biens aux pauvres, et il a tenu parole. Cinquante ans après, devenu puissamment riche, il fondait plusieurs institutions dans le Massachusets, et créait à Baltimore une série de fondations destinées à développer l’instruction supérieure. L’ensemble de ces donations s’élevait à 55 millions de francs. Sa fortune réalisée, il vint vivre en Angleterre. Il y est mort en 1869, après avoir consacré aux pauvres, par des donations répétées, une somme de 12,500,000 francs, pour leur créer des habitations économiques et salubres.

Les administrateurs de ce legs, au premier rang desquels se trouvait lord Derby, ont bâti, au centre de Londres, 18 groupes de maisons, qui contiennent 4,551 logemens et abritent 18,000 personnes. Pour ne pas faire concurrence aux autres sociétés, ils font payer un loyer aux ouvriers dans leurs immeubles; mais ils ne prélèvent que 4 pour 100 comme intérêt du capital engagé, tandis que les autres sociétés, bien qu’elles n’en fassent pas une spéculation, ne peuvent pas se contenter de moins de 5 pour 100. Le revenu des maisons déjà bâties est employé à en élever de nouvelles. C’est ainsi qu’avec un legs de 12 millions 1/2, les administrateurs avaient déjà dépensé, en 1884, 30,275,000 francs en constructions. Ils se conforment ainsi à la volonté du donateur, exprimée de la façon suivante dans son testament, qui porte la date du 30 mai 1869 : « Mon espérance est que, dans un siècle, les recettes annuelles provenant des loyers auront atteint un tel chiffre, qu’il n’y aura pas, dans Londres, un seul travailleur pauvre et laborieux qui ne puisse obtenir un logement confortable et salubre, pour lui et sa famille, à un taux correspondant à son faible salaire. »

Les vingt-deux premières années permettent de penser que cet espoir n’est pas entièrement chimérique. « Lorsque la reconnaissance publique, dit M. George Picot, célébrera le centième anniversaire de la mort de M. Peabody, la fondation qui porte son nom possédera peut-être, à Londres, 2 milliards d’immeubles, abritant 1,500,000 âmes, dans 350,000 logemens. »

A côté de cette fondation splendide, destinée à produire de si magnifiques résultats, il est de toute justice de placer l’œuvre plus modeste, mais tout aussi respectable, que poursuit miss Octavia Hill. Depuis vingt ans, elle travaille à améliorer les logemens des ouvriers avec des ressources bien bornées, mais avec une intelligence et une ardeur infatigables. Elle ne procède pas, comme les autres.