Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/395

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses officiers et ses évêques, mais il s’est réservé la décision suprême. Le patrice des Romains a promis d’aller à Rome pour juger Rome.

Une année entière, il fit attendre sa venue. Il employa les premiers mois de l’an 800 à inspecter les côtes de l’Océan. Il mit les ports et les embouchures des fleuves à l’abri des attaques des Normands, pécha en mer, visita ses villas, et fît des pèlerinages aux tombeaux de plusieurs saints vénérés. Au mois d’août, il tint une grande diète à Mayence. « Voyant que la paix régnait sur toutes ses frontières, il tourna sa face vers Rome. » Le jour où il y entra, on vit qu’il était le maître. Hadrien avait coutume de l’attendre à Saint-Pierre : Léon alla au-devant de lui, à une journée de marche. Il lui fit humblement les plus grands honneurs, et, après avoir dîné avec lui, regagna la Ville, pour y préparer la réception du lendemain. Les étendards furent envoyés au-devant du roi ; des groupes de citoyens et d’étrangers, placés sur son passage, chantèrent ses louanges. Léon se tenait, non point au haut des degrés de Saint-Pierre, comme Hadrien, mais au bas, pour recevoir Charles au moment où il descendrait de cheval.

Le 1er novembre fut tenue une grande assemblée, à la fois diète et concile : les grands de Rome et du peuple des Francs y siégèrent avec les évêques pour entendre et juger les accusations portées contre Léon. Devant ces représentans de la chrétienté, le pape reprenait sa majesté. Les clercs se souvinrent que l’évêque de Rome était le juge de tous les fidèles, et ne pouvait être jugé par personne. De son plein gré, Léon, du haut de la chaire, qui était la tribune de cet auguste parlement, se purifia par serment. Ainsi était accompli ce pourquoi Charles était venu. Mais, pendant ces journées de décembre, les grands, ecclésiastiques et laïques de France et d’Italie, avaient délibéré sur un grand projet. « Il sembla bon au pape Léon, dit une chronique, et à tous les pères présens au concile et au reste du peuple chrétien, de nommer Charles empereur. » Le jour de Noël, Charlemagne, revêtu de la chlamyde du patrice, assistait à l’office divin dans la basilique de Saint-Pierre. Il priait agenouillé devant le maître-autel. Dans l’abside, le clergé était assis par rangées superposées. Au milieu, tout en haut, dominant l’autel et le temple, le pape trônait. Comme le diacre achevait de lire l’évangile, Léon se leva de son siège, une ancienne chaise curule où étaient représentés les travaux d’Hercule et les signes du Zodiaque. Il s’approcha du roi, et lui mit une couronne sur la tête. Des acclamations retentirent. « A Charles Auguste, grand et pacifique empereur des Romains, vie et victoire! »