Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/392

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

protecteur du saint-siège. C’est cette autorité un peu vague et cette protection que le pontife avait confiées à Pépin. Il avait, pour ainsi dire, partagé avec lui la dépouille byzantine. Il avait pris pour lui-même le territoire, et, de l’office disparu du gouverneur impérial, il avait détaché des droits et des devoirs qui furent la part du roi. Bien entendu, le pape considérait surtout les devoirs du roi envers lui. S’il avait été le maître absolu, l’artisan souverain de sa fortune, les droits du patrice seraient demeurés dans l’ombre.

Les Carolingiens n’attachèrent d’abord aucun prix à cette dignité nouvelle. Pépin, que le pape salue toujours des deux titres de roi et de patrice des Romains, n’a jamais porté le second. Charlemagne l’a dédaigné jusqu’après la prise de Pavie. En 774 seulement, il s’intitule roi des Francs et des Lombards et patrice des Romains. Évidemment, il ne l’a pas fait sans intention. Nous ne voyons point qu’il ait invoqué des droits réels de patrice tant qu’a vécu Hadrien, mais il n’était pas homme à se parer d’un titre creux. Il avait réfléchi sur la nature de cet office. Il était plus capable que son père de le définir. Pépin n’avait fait que passer en Italie : lui s’y était établi. Plusieurs fois, il était allé à Rome. Il s’était, pour ainsi dire, acclimaté dans la péninsule, dont il avait étudié les affaires avec l’attention sérieuse qu’il mettait en toutes choses. Au premier moment favorable, à l’avènement d’un nouveau pape, il résolut de s’expliquer sur les droits qu’il croyait avoir. Il me semble qu’il jugea le moment venu d’établir son autorité sur la Ville.

La condition politique de Rome demeurait toujours indécise. La Ville était partagée en deux moitiés, nettement distinguées dans les lettres adressées par les papes aux rois. D’une part sont « les évêques, abbés, prêtres et moines ; » de l’autre, « les ducs, cartulaires, comtes, tribuns et tout le peuple et l’armée des Romains. » En maintes circonstances, on voit agir ensemble, mais chacun pour soi, les deux membres de la cité. Lorsque Étienne se rend en Gaule, des laïques et des clercs l’accompagnent jusqu’à Pavie. Dans une ambassade envoyée à Pépin figurent, à côté d’un évêque et d’un abbé, deux grands de Rome qualifiés de magnifici. Clercs et laïques se réunissent pour implorer la protection de Pépin. Ils ont des assemblées communes où les lettres du roi sont lues « à tout l’ordre des ecclésiastiques et à tout l’ordre des laïques. » Ensemble ils reçoivent Charlemagne lorsqu’il vient à Rome. Ils concourent, pour part égale, à l’élection du pape. Dualité singulière, qui pouvait durer tant que la ville avait un maître, l’empereur, chef de la double hiérarchie, mais qui devait être une cause permanente de conflits, si l’empereur n’était pas remplacé. Dès lors se pose la