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chaque ligne, et qui brillent d’un reflet de pourpre et d’or. Encore une fois, saint Pierre a renié le Christ. Le pape oublie ses vrais titres, le : « Tu es Pierre, » et le : « Pais mes brebis. » Il est César, par donation de César. Il est vêtu, paré, couronné par lui et comme lui. « En ces choses, dira un jour saint Bernard au pape, tu as succédé, non à Pierre, mais à Constantin. »

Singulière rencontre! Au-delà des monts, un roi devient chef d’église ; en-deçà, un évêque passe chef d’empire. Charlemagne est David et Josias ; Hadrien est César, ou du moins il croit l’être ; car déjà son rêve s’est évanoui, au moment où il en fait la confidence au roi des Francs.

En 774, après l’entrevue de Rome, Charles était retourné devant Pavie. Il avait pris la ville, le roi et le royaume. Dès lors, il marqua dans ses actes son titre de roi des Lombards et la date de l’acquisition de sa nouvelle couronne. Ses sentimens sur « la page de donation» qu’il avait signée, quelques mois auparavant, furent modifiés. Dirons-nous qu’il a manqué de propos délibéré à son serment? Ce seraient de bien gros mots. Charlemagne a tout simplement fait de la politique, comme le pape. Il a pensé sans doute que ce qui était bon à prendre était bon à garder. Son père et lui avaient été généreux aux dépens du roi des Lombards ; il n’a plus voulu l’être à ses dépens, après qu’il est devenu lui-même roi des Lombards. Il pouvait justifier sa conduite à ses propres yeux par des raisons qui avaient leur valeur. C’était pour protéger le pape contre la « nation fétide » que Pépin lui avait donné un domaine temporel; mais ces lépreux n’étaient plus à craindre, à présent qu’ils obéissaient à la famille « choisie par Dieu, dès l’origine des temps, pour être, après lui, la protectrice de son église. » Peut-être aussi le traité improvisé le mercredi de Pâques, dans la scène du tombeau, n’a-t-il pas été compris de la même façon par les deux parties contractantes. Charlemagne ne paraît pas s’être fait à l’idée que le pape fût un souverain au même titre que lui, avec la pleine juridiction et tous les droits qui découlent de la souveraineté. Il voulait bien donner, et il a donné en effet à l’évêque de Rome des églises et des patrimoines, mais non des duchés. C’est ainsi qu’il procède dans le Bénéventin. Ses missi mettent Hadrien en possession d’évêchés et de monastères ; mais, des cités, ils ne cèdent que (c les clés sans les hommes. » Le pape se récrie ; « Que signifient des cités sans les hommes?.. Je veux les régir et les gouverner, et avoir sur eux toute puissance. A quoi donc pensent vos sissi? Que leur est-il arrivé? » Les missi savaient très bien ce qu’ils faisaient : ils distinguaient la propriété de la souveraineté. Malgré tout cependant, Charlemagne sentait bien qu’il n’avait point tenu toute sa promesse.