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les frontières des Romains. » Il n’admet pas qu’aucun de ceux qui vivent « au service du bienheureux Pierre et au sien » aille chercher la justice auprès d’un autre prince ou se recommande de lui, ce prince fût-il le roi des Francs. L’archevêque de Ravenne s’est rendu auprès de Charles sans être accompagné par un légat : le pape proteste contre cet acte de rébellion. Des habitans de Ravenne, qui avaient affaire à ses juges, se sont réfugiés en Gaule : il demande qu’on les lui renvoie. Il traite avec Charles d’égal à égal, de souverain à souverain. En propres termes, il lui expose la distinction du tien et du mien, du vestrum et du nostrum. « Je ne manque jamais, quand je reçois quelqu’un de vos hommes, de l’exhorter à demeurer dans votre foi et service, de même je vous prie d’avertir mes hommes quels qu’ils soient, qui vont vers vous, de demeurer soumis et humbles au service du bienheureux Pierre. » Il administre ses provinces comme un prince temporel, par les mêmes agens et dans les mêmes formes. Il fait la guerre. Ses domaines de Campanie étant menacés par les Bénéventins et les Grecs, il a demandé des explications : ne les ayant pas obtenues, il a envoyé « son armée. » C’est la première fois que ce mot est prononcé par un pape. Un jour, il donne l’ordre de faire brûler des vaisseaux grecs qui pratiquaient le commerce d’esclaves; à ce propos, il exprime le regret de n’avoir « ni navires ni matelots. » Il emploie au service de son état son neveu Pascal, qui fait office d’ambassadeur, et son « très éminent neveu, » Théodore, qui est « duc et consul ; » duc du pape, car le pape a plusieurs ducs.

Que s’est-il donc produit entre le pontificat d’Hadrien et celui de son prédécesseur? De quels droits nouveaux le pape a-t-il été investis? De droits nés d’un rêve, commencé depuis longtemps, longtemps demeuré si vague que le rêveur en avait à peine conscience, et qui tout à coup a pris une forme précise.

En l’année 778, Hadrien, écrivant à Charlemagne, lui vante les mérites du « très pieux empereur Constantin le Grand, de sainte mémoire, qui, au temps du bienheureux Silvestre, pontife romain, éleva, exalta par sa largesse la sainte église de Dieu et l’église apostolique romaine, et daigna lui donner la puissance dans ces parties de l’Occident. » Ces paroles sont une allusion claire à la prétendue donation que Constantin aurait faite au pape Silvestre et dont voici la teneur.

Quatre jours après son baptême, Constantin, « empereur de la terre, gouvernant le peuple universel répandu sur l’univers, » a résolu de donner un privilège à l’église de la ville de Rome, où « le principat des évêques et la tête de la religion chrétienne ont été établis par l’empereur du ciel. » Il concède au pape la puissance