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seuls clercs. Il s’engagea dans les Alpes, exposant, comme il dit, « son corps et son âme parmi les frimas et la neige, les eaux débordées, les fleuves puissans et l’atroce aspect des montagnes. » Pépin, qui l’attendait à Pontion, envoya au-devant de lui, jusqu’à une distance de cent milles, son fils Charles, le futur Charlemagne, alors un enfant de onze ans. Lui-même alla recevoir le pape à trois railles de la villa. Il descendit de cheval, se prosterna, prit la bride du cheval pontifical et marcha quelque temps ainsi, comme un écuyer. Le cortège entra dans la maison, au chant des hymnes et des cantiques. Le pape et le roi se retirèrent dans l’oratoire : là, Etienne s’agenouilla, avec l’appareil ecclésiastique des supplians, les cheveux semés de cendres. Pépin jura « d’accomplir ses volontés. » C’est le 1er janvier 754 qu’il fît cette grave promesse.

Par ambassadeurs, il somma les Lombards de donner satisfaction au pape : Astaulf s’y refusa. La question fut portée devant l’assemblée des Francs, et la guerre décidée. Avant le départ, qui eut lieu en juillet, le roi, la reine et leurs deux fils, Charles et Carloman, se rendirent à Saint-Denis, où Etienne avait passé l’hiver. Le pape donna l’onction sainte aux trois princes et mit un diadème sur le front de la reine.

La campagne fut courte : Astaulf, assiégé dans Pavie, promit les restitutions qu’on lui demanda. A la fin de décembre, les Francs avaient repassé les Alpes, et le pape était rentré à Rome. Pépin se croyait sans doute quitte envers saint Pierre. Il n’avait point coutume de faire de longues campagnes: chaque année, il revenait célébrer la Noël dans quelqu’une de ses maisons. Puis cette guerre de Lombardie n’était point populaire chez les Francs : le jour où le roi l’avait proposée, un grand nombre de ses fidèles avaient menacé de l’abandonner. Il leur déplaisait sans doute que des guerriers combattissent des guerriers pour plaire à un prêtre. Ils pensaient que le fils de Charles Martel ferait mieux de poursuivre l’œuvre des ancêtres, la guerre aquitanique, la guerre sarrasine, la guerre frisonne, la guerre bavaroise, la guerre saxonne. Ce sont là des conjectures, mais il est certain que Pépin avait quitté l’Italie trop vite au gré du pape, qui le suppliait de ne point se laisser prendre aux enjôlemens des Lombards. Un an à peine écoulé, les appels d’Etienne se succèdent. Il s’adresse au roi et à ses fils, ou bien, joignant à ses prières celles du clergé et du peuple romains, il implore, en même temps que les rois, les évêques, les clercs, les moines, les ducs, les comtes et toute l’armée des Francs. Saint Pierre enfin, saint Pierre lui-même, de sa propre main, écrit à la nation franque une lettre solennelle. Le danger pressait, car Astaulf assiégeait Rome. « Où donc, criait-il aux assiégés, où est le roi des Francs? »