Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/367

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’antiquité sacrée mieux que la profane. Il se sent plus près de Josias que de Constantin, « de saint Josias, comme dit un capitulaire, qui parcourait le royaume à lui confié par le Seigneur, corrigeant, avertissant, ramenant son peuple au culte du vrai Dieu. » Il y a eu, au VIIIe siècle, une sorte de renaissance biblique, à laquelle les historiens ne donnent pas l’attention qu’elle mérite. La Bible était pieusement étudiée par les Anglo-Saxons, qui apportèrent aux Francs le culte du livre saint. David prit alors le pas sur Théodose : Charlemagne, quand il cherche le nom qu’il portera dans l’académie du palais, choisit celui du roi-prophète. Les chrétiens du VIIIe siècle remontaient ainsi à leurs vraies origines. Supposez que l’église n’ait pas accepté au IVe siècle l’alliance de César et que l’empire ait disparu, maudit par les martyrs et détruit par les Germains : les hommes auraient oublié le passé romain pour adopter le passé biblique. Israël aurait été l’ancêtre des peuples et Saül l’ancêtre des rois. Mais Rome avait imposé sa survivance aux chrétiens. Pour se perpétuer, elle avait adopté l’apôtre Pierre, chef de l’église nouvelle ; en revanche, l’évêque de Rome s’était incliné devant César. Saül, David et Salomon demeurèrent dans la pénombre. Cependant les années succédaient aux années, et les siècles aux siècles : César, relégué en Orient, s’effaçait. L’idée reparut d’un peuple de Dieu, conduit par un élu du Seigneur, et qui a nom le roi. Le roi ne supprime pas l’empereur, mais il existe à côté de lui, en dehors de lui, directement chargé par Dieu d’un office. « Il y a, dit Alcuin, trois grandes personnes en ce monde : la sublimité apostolique, qui gouverne le siège du bienheureux Pierre ; la dignité impériale, qui exerce la puissance séculière sur la seconde Rome ; la dignité royale, à qui Notre-Seigneur Jésus-Christ a confié le gouvernement du peuple chrétien. » Dans cette hiérarchie sacrée, la dignité royale vient la dernière, mais l’Anglo-Saxon la relève aussitôt de cette infériorité. A la date où il écrit, dans la dernière année du VIIIe siècle, la sublimité apostolique vient d’être outragée à Rome par des brigands ; la dignité impériale a été souillée à Constantinople par un attentat et par une usurpation ; la dignité royale l’emporte sur les deux autres : elle est plus forte, plus sage, plus sublime. Ainsi Alcuin attribue à la royauté, comme à la papauté, comme à l’empire, une origine divine. Charlemagne est un membre de cette trinité par laquelle la terre est gouvernée. De la qualité de roi à celle d’empereur, il n’y a point progrès ni avancement : ce sont choses différentes. Il n’était donc pas nécessaire que Charles reçût la couronne impériale des mains du pape pour être plus près de Dieu.

Alors même qu’ils ne seraient jamais descendus en Italie, les Carolingiens auraient été les rois de leur église. Ils auraient disposé