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C’est l’avantage des états fortement organisés. L’Angleterre, heureusement pour elle, n’en est point à mettre en doute à tout instant et à tout propos sa constitution ; elle semble même, pour le moment, être à l’abri des crises ministérielles. Le cabinet de lord Salisbury a pris, en effet, le meilleur moyen d’assurer son existence : en restant conservateur par son origine, par sa politique sur quelques points, il s’est fait assez libéral pour avoir l’alliance d’une partie des libéraux ; il ne recule pas devant des réformes presque radicales, faites pour désarmer ou déconcerter les réformateurs les plus hardis. Il réussira ou il ne réussira pas, on ne l’accusera pas, dans tous les cas, d’être réactionnaire, de s’asservir aux préjugés d’un torysme suranné. Le vieux torysme est mort en Angleterre, et les jeunes conservateurs de l’école de lord Beaconsfield ne craignent ni les hardiesses ni les nouveautés démocratiques. Le ministère de lord Salisbury a toujours devant lui, il est vrai, une difficulté qu’il est loin d’avoir résolue, et peut-être s’est-il trop hâté de croire au succès de sa politique en Irlande ; peut-être s’est-il flatté trop tôt d’en avoir fini avec l’agitation et les agitateurs irlandais. M. Balfour s’est un peu pressé récemment en annonçant la paix. Le fait est que rien n’est fini, que si l’agitation a paru un moment assoupie, elle vient de se raviver un peu peut-être parce qu’on s’est trop vanté de l’avoir vaincue. À ces assurances optimistes, les Irlandais ont répondu par des manifestations nouvelles, par des meetings qui ont appelé les répressions. Il y a eu des résistances, des luttes à main armée, du sang versé, et puis encore une fois des arrestations, notamment celles du populaire O’Brien et de quelques autres chefs. Bref, c’est toujours à recommencer, même quand on croit en avoir fini, et la guerre pour le home-rule menace de durer autant que l’inextinguible passion irlandaise. Évidemment, la difficulté reste entière en Irlande ; mais si le ministère se montre inflexible dans cette question qui touche à l’unité de l’empire britannique, il vient en même temps de proposer une réforme qui dépasse tous les projets libéraux, que M. Gladstone et ses amis sont eux-mêmes obligés d’accepter et de soutenir : c’est le bill sur le gouvernement local des comtés de l’Angleterre et du pays de Galles. Ce bill, proposé par M. Ritchie au nom du gouvernement, et lié dans sa partie financière au budget de M. Goschen, a pour objet d’étendre à l’administration des comtés le système électif établi, depuis plus d’un demi-siècle déjà, dans les bourgs, par l’institution des conseils municipaux. En apparence, cela semble assez simple de créer dans les comtés des conseils électifs, quelque chose comme les conseils-généraux de nos départemens. En réalité, c’est la mesure la plus grave qui ait été proposée depuis longtemps ; c’est le dernier coup porté au vieil organisme britannique, à l’influence traditionnelle du grand propriétaire foncier, qui, sous le nom de juge de paix, avait jusqu’ici le monopole de l’administration du comté. Le juge