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passage. Pendant son séjour à Charlottenbourg, enfin, elle a eu plusieurs entrevues prolongées avec M. de Bismarck. Elle a vu tout le monde, soit, et on s’est hâté de conclure que la reine Victoria s’était chargée pour le moins de négocier l’accession définitive de l’Angleterre à la triple alliance continentale. C’est peut-être aller un peu vite. D’abord, de la part d’un ministre anglais, ce serait un procédé un peu étrange et assez nouveau de mettre sa souveraine en avant dans une négociation qui engagerait si gravement l’Angleterre ; ce serait probablement la première fois que la reine Victoria aurait accepté ce rôle devant sa nation. Et puis, il faut l’avouer, ce n’est guère le moment d’aller, au chevet d’un malade, nouer des alliances, qui sont aussi sérieuses, aussi solides, aussi pacifiques qu’on voudra, — qui dépendent après tout aujourd’hui de tant d’événemens faits pour déconcerter toutes les prévisions et changer peut-être toutes les situations.

Les alliances dont on fait tant de bruit ont déjà quelquefois assez de peine à résister aux soubresauts des incidens de tous les jours. Elles ne sont pas déjà si aisément, si universellement acceptées, même dans les pays qui se trouvent engagés : témoin l’Autriche, où la triple alliance, populaire en Hongrie comme parmi les Allemands autrichiens, l’est beaucoup moins parmi les autres populations de l’empire. On vient de le voir, tout dernièrement encore, par les vives discussions qui se sont engagées à propos du budget dans le Reichsrath, réuni depuis quelques jours, à Vienne. Les chefs des jeunes Tchèques, — M. Vasaty entre autres, — se sont élevés avec énergie et non sans éloquence contre la triple alliance, qu’ils ont représentée comme une inféodation de l’Autriche à l’Allemagne, comme une combinaison contraire aux intérêts de l’empire, aux intérêts des contribuables, aux intérêts mêmes de la dynastie ; ils se sont efforcés de démontrer que la triple alliance n’avait d’autre valeur que d’être une garantie pour l’Allemagne dans une guerre contre la France, tandis que l’intérêt de l’Autriche, au contraire, était de s’opposer à tout ce qui pourrait affaiblir la France. Les Tchèques ne décident pas de la politique de l’empire sans doute ; ils pèsent cependant dans la balance, ils représentent les aspirations slaves, et ils ont plus d’une fois, par leur alliance, par leur vote, assuré une majorité au gouvernement dans le Reichsrath.

C’est là précisément la difficulté pour le cabinet cisleithan que dirige depuis longtemps le comte Taaffe. A vrai dire, ce ministère cisleithan se trouve souvent dans un embarras singulier, obligé de tenir tête aux attaques les plus contraires, ayant à faire face tout à la fois à l’opposition allemande, qui lui reproche violemment de tout livrer aux Slaves, et aux Slaves, qui l’accusent de subir le joug allemand, de germaniser la Bohême. Le comte Taaffe se tire le plus souvent d’affaire en tacticien habile, avec une certaine dextérité mêlée de sang-froid et de fermeté. Il a eu récemment à soutenir de violens assauts, qu’il a