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l’autre, d’une heure à l’autre. Pendant ce temps, on n’en peut douter, autour de l’infortuné souverain, les questions les plus délicates se sont élevées, des conflits intimes ont éclaté. Il y a eu même ce qu’on a appelé la « crise du chancelier, » crise déterminée par le mariage éventuel de la princesse Victoria et du prince Alexandre de Battenberg, où M. de Bismarck a vu un échec pour son influence, un contre-temps pour sa politique, pour ses rapports avec la Russie. La crise a été détournée ou apaisée, soit, on peut le croire, puisque le chancelier est resté, et que son fils, le comte Herbert de Bismarck, chargé du ministère des affaires étrangères, a été l’objet de faveurs nouvelles ; mais il est bien clair que, dans ce triste palais de Charlottenbourg, autour de ce malade couronné, s’agitent tous les conflits avoués ou inavoués de sentimens, d’arrière-pensées, d’influences, de politiques visiblement antipathiques. C’est aussi lugubre et c’est même plus grave ici qu’à San-Remo, où l’empereur Frédéric III n’était encore que prince de la couronne. Aux bords de la Méditerranée, c’était le drame avant le règne ; aujourd’hui, c’est le drame dans le règne !

Quelle signification peut avoir dans ces conditions si étrangement difficiles le voyage que la reine d’Angleterre vient de faire à Berlin ? Est-elle allée là pour voir un gendre menacé dans sa vie, pour soutenir sa courageuse fille, pour être comme mère et comme aïeule une médiatrice de famille ? A-t-elle entrepris cette longue et pénible course dans l’intérêt du mariage Battenberg, qui n’a cessé d’être l’objet de ses préoccupations intimes ? A-t-elle porté à Charlottenbourg quelque autre arrière-pensée politique ou diplomatique ? Ce sont des énigmes livrées à la curiosité européenne. Toujours est-il que, sans se laisser émouvoir par l’inconvénient qu’il pouvait y avoir pour elle à paraître à Berlin dans un moment où tout ce qui est anglais n’est rien moins que populaire, la reine Victoria n’a pas craint de se risquer en pleine Prusse : elle a bravement affronté le péril, et, en définitive, elle ne s’en est pas mal trouvée. Dans les courtes apparitions qu’elle a faites à Berlin, ayant sa fille à ses côtés, elle a rencontré sur son passage non pas des démonstrations d’une sympathie chaleureuse et enthousiaste, mais un accueil suffisamment respectueux. Elle a pu certainement aussi profiter de sa présence à Charlottenbourg pour exercer une influence calmante, pour essayer d’atténuer la vivacité des divisions de famille. Sous ce rapport, son rapide passage en Allemagne aura pu n’être point tout à fait inutile. Resterait toujours à savoir si dans le voyage de la souveraine anglaise, il y a eu quelque autre intention, quelque visée mystérieuse de haute diplomatie. La reine Victoria, il est vrai, avant de quitter Florence, avait reçu la visite du roi Humbert, qui s’était fait accompagner par son président du conseil, M. Crispi. Dans son voyage à travers l’Allemagne, elle a rencontré aussi à Inspruck l’empereur d’Autriche, qui a tenu à se trouver sur son chemin et à la saluer au