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à augmenter l’honneur de leur nom. Et le reste du jour se passe dans des propos moitié graves, moitié plaisans. À la nuit, il exige que chacun aille chercher le repos chez soi comme de coutume. Il expire à deux heures du matin, après s’être, de ses doigts étendus, fermé les yeux.


V.

Pasquier estimait que ses amis et lui-même avaient fait beaucoup pour tirer notre littérature de l’ornière, et que, sous leur main, elle avait pris l’élan qui la devait porter à d’éclatantes destinées. En cela, il ne s’abusait pas ; il se méprenait, par d’autres points, sur la valeur de leur œuvre. Ainsi, Ronsard lui semblait avoir égalé les plus illustres poètes de Rome : « Ceux qui voudront écrire dans l’avenir, ajoutait-il, seront bien aises de se proposer un si grand personnage pour miroir ; les auteurs qui se sont disposés de traiter discours de poids et étoffe pourront servir de même effet ; et moi-même, faisant en ma jeunesse mon Monophile, puis mes Lettres françaises et ces présentes Recherches, les ai exposés en lumière sous cette même espérance. »

On voit qu’il se flattait de la pensée généreuse de devenir et demeurer un classique, j’entends, au sens large du mot, un de ces auteurs que la postérité met au premier rang et reconnaît pour des modèles éternels en leur langue. Il était venu trop tôt pour qu’une telle espérance se réalisât ; il ne pouvait qu’ouvrir la voie vers la perfection.

Il était venu trop tôt, d’abord parce que la langue n’était pas fixée. De ceci, il avait eu le pressentiment, tant son bon sens était droit. « Chacun, a-t-il écrit, s’imagine que la langue de son temps est la plus parfaite et se trompe souvent. Beaucoup de vieux auteurs l’ont cru, et ils sont oubliés par suite du changement de langage… De faire un pronostic de notre langue, il me serait très malaisé. »

Il était venu trop tôt encore, parce que son temps ne possédait point ce goût pur que le siècle suivant devait acquérir, qualité essentielle de l’esprit français, essentielle à ce point que nul chez nous, sauf peut-être le grand Corneille et Molière, qui est à part de tout, n’est classique s’il en est privé. Pasquier n’est qu’un Gaulois frotté de Latin : ce n’est pas encore ce que je nomme un Français.

Il avait cependant l’instinct de ce qu’il fallait à nos lettres ; il tendait vers nos qualités classiques. On ne saurait mieux, par exemple, prêcher la sobriété, recommander le choix du trait, qu’il ne faisait a ses amis : « Il me semble, écrivait-il à l’avocat Mornac, qu’êtes trop