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manquer d’avoir en France, justement dans la partie de la nation qui se piquait de posséder et de répandre les lumières, beaucoup d’ennemis, et ceci nous paraît être la cause principale de leur impopularité persistante ; ajoutons, pour être équitable, que tous les membres de leur société ne furent pas sages, et que plus d’un prêta le flanc à des attaques passionnées ; mais n’est-il pas fâcheux pour leurs adversaires qu’Henri IV ait été de leurs défenseurs?

Nourrisson de l’Université, portant une âme de parlementaire, Etienne Pasquier entra dans la lice avec un zèle que doublait, il faut bien le dire cependant, l’envie de faire du bruit. Qu’on entende de quel ton il parle de son collègue Ramat, qui tentait de lui tirer des mains cette cause retentissante : « C’était, dit-il, un esprit visqueux, et je le mis en déroute en le menaçant de lui devenir un autre Cicéron contre Cécilius. » Il se sentait d’ailleurs plus capable que qui que ce fût de cette affaire : chacun eût pu tirer argument des conciles de Latran et de Vienne interdisant de nouveaux ordres religieux, mais seul il connaissait bien les origines et les constitutions de l’ordre des jésuites, qui n’avaient pas encore été divulguées et qu’il tenait de l’indiscrétion d’un membre de l’ordre; c’était huit ans auparavant, pendant une partie de campagne, que le jésuite Pasquier-Bronez lui avait révélé ces mystères en causant de bonne amitié. Nous aimerions autant que notre avocat eût reçu ses renseignemens d’autre source, mais lui ne se fit jamais scrupule de leur origine et raconta toujours cette histoire comme un bon tour qui devait amuser. Il ne gagna ni ne perdit contre Versoris : le parlement fit preuve une fois de plus de sa modération ; malgré ses préventions contre la compagnie de Loyola, il appointa ou ajourna indéfiniment la cause, faute de charges sérieuses.

Pasquier n’en avait pas moins fondé sa réputation : son discours avait été magnifique de verve, et chacun dut reconnaître, soit pour l’en louer, soit pour l’en blâmer, comme il avait su agrandir et porter haut les questions. Dès lors, les belles causes ne lui manquèrent plus. Les plus célèbres furent celles qu’il plaida pour le seigneur d’Arconville, pour le maréchal de Montmorency, pour le duc de Lorraine, pour le duc de Guise, pour la ville d’Angoulême. Les jours qu’il parlait étaient des jours solennels, et parfois la cour se rendait au palais pour l’écouter. Il ne déplaisait pas à Pasquier d’organiser de son côté des petites scènes de grandeur à l’antique : c’est ainsi que près de lui, au-dessus de l’orphelin et de la veuve placés à ses pieds, il aimait d’asseoir un de ses fils en lui recommandant de regarder bien comment, au nom de la justice, il faisait triompher les faibles.

Le principal ouvrage d’Etienne Pasquier, son meilleur titre à durer devant la postérité, c’est les Recherches de la France. Il y travailla