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la Farce de Patelin, qui lui semblait le chef-d’œuvre du génie national. Des écrivains de tout pays ont observé le spectacle humain pour en faire la satire amère ou joyeuse ; des Français savent seuls le regarder et le traduire à la gauloise. Un bon sens plus pratique qu’élevé, une aptitude singulière et presque de l’instinct pour découvrir ce qui s’en écarte, la puissance de la verve, le mouvement dont est emportée la pensée dans une phrase tout en couleur et d’une clarté limpide, sont très certainement quelques-uns des traits généraux dont le Gaulois doit être marqué. Le plus souvent il gouverne sa conduite et juge celle d’autrui d’après des principes qui n’ont rien de supérieur; ne cherchez en lui ni préoccupation métaphysique, ni grandes et belles amours, ni bien vive charité ; tirer de la vie le meilleur parti possible, en restant brave homme pour la tranquillité de sa conscience, est son principal idéal; l’intérêt bien compris est la base de sa morale, et généralement il comprend que son intérêt est de ne pas se tourmenter des choses. Il est cependant très susceptible de s’éprendre de gloriole; de la vraie gloire, point.

On ne sait presque rien de la naissance d’Etienne Pasquier. Il aimait à parler de ses affaires, et, plus vraisemblablement par orgueil que par modestie, ne nous a jamais rien dit de sa famille. D’après d’Hozier, il serait fils d’un archer de la garde du roi, petit-fils d’un sergent à verge, et la fortune de son grand-père aurait été confisquée pour un acte regrettable de violence. Né, en 1528, à Paris, il dut grandir dans un entourage de médiocre distinction, parmi des hommes et des femmes au parler gras, amis de la bonne chère et du rire facile, et que l’exemple de l’aïeul avait rendus parfaitement sages. Puis sa personnalité gauloise ainsi formée reçut l’influence de la littérature antique.


II.

Pasquier entrait dans la vie au temps du plus grand engouement pour Rome et la Grèce. Tandis qu’il étudiait les lois, tant en France qu’en Italie, sous Hotman, Baudouin, Cujas, Alciat, Socin, il cultivait déjà les lettres ; quand il fut au barreau de Paris, il consacrait une bonne part des trop nombreux loisirs que lui faisait son obscurité à lire les vieux auteurs, à fréquenter les chefs du mouvement littéraire nouveau, et, s’enflammant au commerce des uns et des autres, il méditait sur les moyens de régénérer notre pensée et nos livres.

On ne saurait fixer au juste la doctrine littéraire ou, si l’on veut, le programme de Pasquier : doctrine et programme ne furent,