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côte interminable, sans rien ramener d’autre que des algues et des débris de coquillages. Dégoûtés de cette besogne à laquelle ils n’étaient pas habitués, convaincus qu’avec un bon navire de guerre sous leurs pieds et des canons à bord ils trouveraient plus à gagner en courant sus aux bâtimens de commerce qu’en continuant ce métier de chercheurs d’un trésor disparu depuis un demi siècle, ils formèrent le projet de se débarrasser de leur commandant en le jetant par dessus bord, et de tâter des charmes de la vie d’écumeurs des mers.

Mis au courant de leur complot par le charpentier du navire, qui lui était demeuré fidèle, William Phipps en eut promptement raison ; il débarqua les plus indociles et poursuivit sa course. Mais son équipage réduit, les avaries subies et les réparations qu’exigeait le bâtiment ne lui permirent pas de pousser beaucoup plus loin son aventure, et il dut rentrer en Angleterre. Sa foi restait la même ; pas plus au retour qu’au départ, il ne doutait du succès ; aussi le rapport qu’il remit à l’amirauté concluait-il à la demande d’une seconde expédition dont il tenait le résultat pour assuré.

On l’écouta courtoisement, mais on lui refusa péremptoirement ce qu’il demandait. La guerre était imminente ; l’Angleterre avait besoin de tous ses navires. Alors commença pour William Phipps une période de sollicitations vaines, de luttes, de misères dont il ne sortit qu’au prix d’une persévérance inouïe. Il réussit enfin à persuader le duc d’Albemarle, sous les auspices duquel une compagnie se forma. Un nouveau navire fut armé, et William Phipps reprit la route des mers du Sud. Chemin faisant, instruit par l’expérience, notre aventurier mûrit ses plans, inventa et fabriqua la première cloche à plonger, recruta sur la côte des Indiens pêcheurs de perles, fit construire une forte chaloupe pour fouiller les anses et reprit son exploration au point où il l’avait abandonnée quatre années auparavant. Pendant des semaines, il explora, décidé, cette fois, à ne pas survivre à un insuccès, et à laisser son corps dans cette mer qui gardait le trésor, objet de ses convoitises. L’idée du suicide le hantait impérieusement au moment même où la fortune cédait à sa persévérance.

Un jour, penché sur le bastingage du navire, il aperçut ce qu’il crut être une algue marine d’une forme étrange; elle flottait à la surface de l’eau comme retenue dans les interstices d’un rocher. Il donna ordre à un plongeur de la lui chercher. Le plongeur obéit et rapporta un bout de filin couvert de végétation; il ajouta avoir entrevu, sur un fond de sable, quelque chose qui ressemblait à un canon. En un instant, la nouvelle se répandit à bord, et l’équipage surexcité d’accourir sur le pont. William Phipps fit immédiatement