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spéculation tendant d’ailleurs à passer dans la pratique par la force même des idées.

Ainsi entendue, la métaphysique morale pourra reprendre, en les interprétant et en les transposant pour ainsi dire, certaines propositions de l’école de Kant dont nous avons montré le côté inexact et le sens inadmissible. Elle devra se placer successivement au point de vue naturaliste et au point de vue idéaliste, afin d’indiquer les perspectives morales qui peuvent s’ouvrir devant elle. En premier lieu, il s’agit d’interpréter la nature; or, la volonté fait partie de la nature : elle peut donc nous éclairer sur le fond et sur la direction de la nature elle-même. De là ce premier problème: Quelle est la direction normale de toutes les volontés, par analogie avec la nôtre? Cette direction normale est-elle fidèlement exprimée par la vraie moralité? — Viendra ensuite un second problème : Jusqu’à quel point l’idéal, conçu par notre pensée, peut-il modifier la nature et se l’adapter? Jusqu’à quel point les idées sont-elles des forces, et, parmi elles, l’idée morale? — La réponse à cette question aboutira à un nouveau genre d’idéalisme conciliable avec le naturalisme. C’est ainsi, pour notre part, que nous entendons le rétablissement rationnel de l’élément moral dans la métaphysique.

Le premier problème, avons-nous dit, consiste à interpréter la nature d’après notre volonté et ses lois, qui font partie de la nature même, non plus seulement d’après notre intelligence et ses lois. Nous l’avons montré par une précédente étude, ce qu’il y a de vrai dans la « philosophie de l’intelligence, » dans la métaphysique intellectualiste, c’est que la pensée a le droit d’être prise en considération et d’entrer comme élément dans une conception complète du monde : la pensée peut ne pas avoir la suprématie, mais elle ne peut avoir un rôle nul. De même, ce qu’il y a de solide dans la métaphysique morale, qui est en définitive une « philosophie de la volonté, » c’est que la volonté, avec sa tendance à un idéal universel, a le droit d’être prise en considération dans le système de l’univers, soit qu’on lui accorde la « primauté, » soit qu’on lui marque une place subordonnée. La moralité n’est pas un fait d’une importance assez médiocre pour qu’une théorie de l’univers la rejette a priori parmi les quantités négligeables. En tout cas, il faut expliquer la moralité comme le reste, et il faut se demander jusqu’à quel point son existence peut nous éclairer sur le sens général du monde. Mais ce n’est plus là le dogmatisme moral des kantiens ; c’est un problème, non une solution anticipée. Au point de vue théorique, un système métaphysique qui, à ses autres qualités d’analyse radicale et de synthèse compréhensive, joindrait l’avantage d’être d’accord avec les tendances morales de la volonté humaine,