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dont le principe ne subsiste pas.» — Mais c’est précisément la façon d’entendre ce principe et Sa manière de « subsister » qui est l’objet des hypothèses métaphysiques. Quelle que soit la thèse à laquelle on s’arrête, éternité du bien ou devenir du bien, elle ne peut être qu’un objet de spéculation, et ce n’est pas la pratique qui peut changer ici une hypothèse en certitude. Au reste, M. Secrétan finit par dire lui-même excellemment : « Ceux qui voient dans l’ordre moral autre chose qu’une apparence éphémère, ceux qui jugent qu’il a ses racines dans la constitution de l’univers et que, malgré tout, il doit prévaloir en vertu d’une loi de l’univers, ces hommes-là croient à l’existence de Dieu : la preuve morale, en sa forme consacrée, n’est qu’une expression anthropomorphique de cette croyance. » Kant avait déjà avoué que les idées de la divinité et de l’immortalité sont de simples moyens de nous figurer le triomphe final du bien dans l’univers. Dieu est ainsi réduit au rôle d’une sorte de rouage supérieur propre à rétablir l’harmonie de la vertu avec la félicité; or, comment démontrer, sans spéculations métaphysiques et au nom du pur devoir, que ce moyen est le seul et que ce rouage est absolument nécessaire? Ne peut-on concevoir d’aucune autre manière l’harmonie finale du bien de chacun avec le bien de tous? N’est-ce point même rabaisser la notion de Dieu que de le représenter comme un Deus ex machina qui, dans cette tragédie du monde où les justes sont malheureux et les injustes triomphans, intervient d’en haut pour corriger le dénoûment à la commune satisfaction des acteurs et des spectateurs ? Pour être parfaitement logique et conséquent avec sa notion du devoir absolu, Kant aurait dû dire : « Obéissez aveuglément au devoir, pour sa seule forme impérative et catégorique, sans rien demander de plus, sans rien postuler, ni immortalité, ni divinité. » Mais, par égard sans doute pour notre humaine faiblesse, il nous permet de nous représenter humainement l’harmonie finale du bien et du bonheur : divinité et immortalité sont pour lui des symboles destinés à satisfaire notre esprit et à rassurer notre cœur, des rêves propres à nous étourdir et à nous suivre au moment du sacrifice ; c’est ainsi qu’on donne un cordial au condamné qui va mourir.

Nous avons vu que les deux premiers postulats moraux et religieux, divinité et immortalité, se ramènent, pour les partisans mêmes de la suprématie du devoir, aux hypothèses ordinaires de la spéculation : ils ne constituent point un procédé de méthode essentiellement distinct des procédés de la métaphysique ; ils ne confèrent aucune suprématie à la morale par rapport à la raison théorique, n’étant eux-mêmes que des théories finalistes où l’univers est orienté vers la moralité humaine. Reste la liberté. Selon MM. Renouvier et Secrétan, l’acte moral affirme la réalité de