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Nous n’accorderons donc ni à M. Renouvier, ni à M. Secrétan, que le désir commande une affirmation volontaire au-delà des raisons qui rendent une chose, soit certaine, soit probable : le premier des devoirs est la sincérité. Si nous ne sommes pas certains de la liberté, de l’immortalité et de l’existence de Dieu, nous devons dire que nous ne sommes pas certains, et non affirmer quand même. Si nous avons, par ailleurs, des raisons qui rendent l’immortalité possible ou probable, et si parmi ces raisons se trouvent des raisons morales, nous devons affirmer simplement une possibilité ou une probabilité, soit métaphysique, soit morale ; dans tous les cas, notre jugement doit traduire avec fidélité le degré de notre connaissance, il doit être l’énoncé exact et franc de notre état spéculatif. Ce qui peut aller plus loin que la spéculation, c’est l’action. Nous pouvons agir comme si nous devions être immortels, agir comme si Dieu existait ; nous pouvons vouloir l’immortalité, vouloir l’existence de Dieu ; mais ce n’est point là affirmer, ni spéculalivement, ni même pratiquement. Il ne sert à rien de s’étourdir en se disant : « Je veux affirmer, je veux croire ; » tout ce que nous avons le droit de dire, c’est : je veux faire, je veux agir, je veux réaliser cette idée, parce que mon intelligence me la montre comme possible ou comme probable, en tout cas comme la meilleure et la plus belle ; et mon cœur suit mon intelligence, et ma volonté suit mon cœur. Si le devoir de l’intelligence est la sincérité, qui s’arrête exactement aux limites de ce qu’elle voit, le devoir de la volonté est l’énergie qui va en avant et tend à dépasser toute limite ; mais le vrai courage n’est pas celui qui prend l’incertain pour le certain, c’est celui qui, dans l’incertitude même et dans les ténèbres, guidé par une lumière lointaine et indécise, se dit : j’irai.


IV.

Nous venons de le voir, les postulats ne peuvent être pratiquement que des traductions de notre volonté, et spéculativement que des hypothèses soumises, comme toutes les autres, à l’appréciation logique des probabilités : ils n’offrent point le caractère d’affirmations libres dépassant la connaissance. C’est ce que rendra plus clair l’examen particulier de chacun de ces grands postulats : divinité, immortalité, liberté ; cherchons si la décision morale peut leur conférer une certitude qu’ils n’auraient pas sans elle, changer de simples possibilités ou de simples probabilités en réalités.

M. Secrétan définit Dieu en termes admirables : « La perfection, dit-il, c’est la volonté éternelle, immuable, que le bien soit… Cette vivante volonté du bien, nous ne saurions la figurer que sous les traits d’une personne… Le bien est voulu d’une volonté absolue.