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les affirmations les plus nécessaires ce qui ne veut pas dire qu’elles doivent être pour cela l’œuvre d’une force extérieure et brutale. La connaissance est l’application des nécessités propres de la pensée aux nécessités qui nous viennent des choses mêmes : ce n’est pas le contingent ni le libre qu’elle poursuit, c’est le réel, qui est ce qu’il est, comme il est, et non comme nous voulons qu’il soit.

« Dans ses pages les moins oubliées, écrit à son tour M. Secrétan, Jouffroy retrace avec une éloquence un peu voulue la nuit où s’écroulèrent les croyances de sa jeunesse : si j’ai quelquefois envié ce don d’éloquence, c’eût été pour fixer l’instant où, dans une soirée d’hiver, sur la terrasse d’une vieille église, je sentis entrer en moi, avec le rayon d’une étoile, l’intelligence de l’amour de Dieu. Il y a bien cinquante ans de cela, car mon foyer n’était pas fondé ; je rentrai avec quelque hâte, j’essayai de me concentrer et d’adorer. Pressé de traduire l’impression reçue en pensées distinctes, j’écrivis avec une impétuosité que j’ignorais et qui ne m’est jamais revenue; je m’efforçai de graver l’éclair sur des pages que je n’ai jamais relues. Je crois que le cahier qui les renferme est encore là, mais je n’ose l’ouvrir, certain que l’écart serait trop grand entre la lumière aperçue et les mots tracés alors par ma plume. Depuis ce moment, j’ai vécu, j’ai souffert;.. j’ai essayé de bâtir des systèmes que j’ai laissés tomber avec assez d’indifférence ; j’ai vu les difficultés se dresser l’une au-dessus de l’autre, j’ai compris que je n’avais réponse à rien, mais je n’ai jamais douté... » Nous ne saurions, pour notre part, accepter cette position mentale, cette sorte de discorde intérieure. La croyance doit être l’équation de notre affirmation à nos raisons d’affirmer, de quelque ordre d’ailleurs que soient ces raisons et sans exclure le moins du monde les motifs d’ordre moral. Une affirmation volontairement inadéquate à la totalité de ses raisons serait un mensonge. Affirmer parce qu’on veut affirmer, c’est se mentir à soi-même et aux autres : si la chose n’était pas douteuse, vous n’auriez pas besoin de vouloir l’affirmer ; vous ne voulez donc l’affirmer que parce que l’affirmation n’a point de base suffisante; toute raison de croire au-delà des raisons est réellement une raison de ne pas croire. Si je m’aperçois que je suis « l’auteur de la vérité que j’embrasse, » je médis aussitôt que j’embrasse une ombre, et je cesse de croire à cette prétendue vérité.

— Mais en fait, répond M. Renouvier, comme les problèmes métaphysiques intéressent notre nature, notre origine, notre destinée, il est impossible au métaphysicien de ne pas mêler à son étude ses passions, ses désirs, sa volonté. — Sans doute, mais