Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/126

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour parie contre dans le fond, et doit gagner ou perdre nécessairement. »

M. Renan, lui aussi, aboutit à une sorte de pari moral. « Une complète obscurité, providentielle peut-être, nous cache les fins morales de l’univers. Sur cette matière, on parie, on tire à la courte paille ; en réalité, on ne sait rien. Notre gageure, à nous, notre real acierto à la façon espagnole, c’est que l’inspiration intérieure qui nous fait affirmer le devoir est une sorte d’oracle, une voix infaillible, venant du dehors et correspondant à une réalité objective. Nous mettons notre noblesse en cette affirmation obstinée ; nous faisons bien ; il faut y tenir, même contre l’évidence. Mais il y a presque autant de chances pour que tout le contraire soit vrai. » Dans cette alternative, M. Renan aboutit à une autre conclusion que celle de Pascal et celle même de M. Renouvier : « Il faut, dit-il, nous arranger de manière à ce que, dans les deux hypothèses, nous n’ayons pas eu complètement tort. Il faut écouter les voix supérieures, mais de façon à ce que, dans le cas où la seconde hypothèse serait la vraie, nous n’ayons pas été trop dupés. Si le monde, en effet, n’est pas chose sérieuse, ce sont les gens dogmatiques qui auront été frivoles, et les gens du monde, ceux que les théologiens traitent d’étourdis, qui auront été les vrais sages. Ce qui semble de la sorte conseillé, c’est une sagesse à deux tranchans, prête également aux deux éventualités du dilemme, une voie moyenne dans laquelle, de façon ou d’autre, on n’ait pas à dire : ergo erracimus. » — Cette solution du dilemme, proposée par M. Renan, est évidemment une solution fantaisiste, inapplicable dans la majorité des cas : entre mourir à son poste ou prendre la fuite, il n’y a point pour le soldat de voie moyenne; entre le parjure ou la mort, il n’y a point pour les Régulus de « sagesse à deux tranchans. « Il faut, dans toutes les grandes alternatives morales, prendre une direction détermi-ée et exclusive, un parti radical, au lieu de louvoyer à travers des solutions moyennes et éclectiques.

Après avoir cité M. Renan, M. Renouvier ajoute :— « Un penseur contemporain d’une autre humeur que le précédent, mais également attaché aux principes de l’évolutionisme, et qui formule un optimisme progressiviste plus décidé ou plus constant, sous la forme d’une force prêtée aux idées, avec une direction qui est le devenir de l’idéal s’est placé à un point de vue de la conscience et de la connaissance où se retrouvent aussi les élémens d’un certain pari. » Il s’agit de ce que nous avons dit jadis ici même: « Le désintéressement actif et aimant est, comme l’égoïsme actif, une spéculation sur le sens du mystère universel et éternel... L’homme aimant et bon propose à tous l’universelle bonté comme la valeur la plus rapprochée