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leurs kalatchi ou gâteaux de communion. D’autres fois, c’était une jeune fille, une « sainte vierge, » vivante et volontaire victime, dont le sein gauche, enlevé au milieu des danses et des chants, servait de nourriture eucharistique[1].

Ont-ils jamais été autre chose que des monstruosités isolées, de pareils rites ne pouvaient se célébrer que de loin en loin, en des contrées écartées, ils ont toujours dû être plus rares dans la Russie moderne que, en Amérique, le sanglant caudoux africain, le sacrifice du « bouc sans cornes, » encore en usage chez les noirs de Haïti. En Russie, on est d’autant plus porté à se défier des récits de ce genre que le paysan est généralement plus doux. Il est des aberrations du fanatisme qu’on ne saurait cependant révoquer en doute et qui rendent moins sceptique pour les horreurs de cette sorte. Comment oublier qu’il s’est trouvé des énergumènes pour prêcher le suicide par le fer ou par le feu, tandis que d’autres recommandaient l’holocauste des enfans? La communion n’est peut-être pas le seul sacrement que la superstition se soit ingéniée à perfectionner à l’aide de rites sanglans. J’ai entendu raconter que, en je ne sais quel district, des forcenés, flétris du surnom de sangsues, enseignaient de baptiser les nouveau-nés avec le sang de leur mère. Si de pareils récits sont suspects, une secte contemporaine pratique, au su de tous, le baptême du sang ou du feu, en l’entendant d’une façon plus odieuse encore. Nous voulons parler d’une secte voisine des khlysty, par son origine comme ses dogmes, la secte des skoptsy ou mutilés.

Nous aurions peu de choses à ajouter à ce que nous avons dit de ces fanatiques, qui, pour devenir semblables aux anges, abdiquent tout sexe, se donnant à eux-mêmes le nom symbolique de blanches colombes, et se vantant dans leurs cantiques d’être plus blancs que la neige. Des étrangers ont été tentés de voir, dans la doctrine de ces ennemis de la génération, le terme logique du pessimisme. Rien de plus juste en apparence : la vie étant mauvaise, il faut en tarir la source ; la génération étant la grande coupable, il faut en retrancher les organes. Tel ne semble pas cependant le point de vue des skoptsy russes. S’ils suppriment en eux la faculté reproductrice, ce n’est pas que leur main ait soulevé le voile trompeur de la Maya, ce n’est pas que leur volonté se soit détachée de la vie et qu’ils se refusent à être complices des pièges de la nature. Leur frigide chasteté d’eunuques n’est point le premier pas dans « la voie de la négation à l’existence. » Ils n’ont rien de Schopenhauer

  1. Mgr Philarète : Istoria Rousskov tserkvi, Ve période, t. III ; Haxthausen : Studien, t. I, ch. XIII, p. 345; Livanof : Raskolniki i Ostrojniki, t. II, p. 276. — Réoutsky : Lioudt Bojii ! Skoptsy, p. 35.