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couvens auxquels l’union vaut l’avantage d’être officiellement reconnus. Tel le skyte de Pokrovsky, près de Sémënof.

Le principal obstacle à la pacification du schisme, c’est peut-être les habitudes de liberté des vieux-croyans. Accoutumés à élire leurs prêtres, ils repoussent le pope nommé comme un fonctionnaire et traité en tchinovnik. Pour attirer les édinovertsy, il a fallu leur reconnaître le droit de choisir ou de présenter leurs prêtres. Par une de ces transformations fréquentes dans l’histoire des révolutions et des hérésies, le formalisme ritualiste du XVIIe siècle, qui a été le point de départ du raskol, n’est plus la principale cause de la persistance du schisme. Ce que revendiquent inconsciemment peut-être les vieux-croyans modernes, c’est la séparation du spirituel et du temporel, la liberté de conscience et la liberté de l’église.

L’orthodoxie russe, disait une supplique qui circulait en manuscrit parmi les vieux-croyans, n’est pas une orthodoxie catholique ; c’est une église russe, moscovite, synodale, officielle, qui fait nommer les évêques par le pouvoir civil, et a pour chef l’empereur et non le Christ; c’est une institution d’état, qui consiste dans le signe de croix à trois doigts et autres pratiques analogues ; c’est un ritualisme grec (greko-obriadstvo), ou une foi ritualiste (obriadovérié) qui croit à l’importance dogmatique de certains détails du rituel et les érige en articles de foi[1]. Il est curieux devoir les vieux-croyans renverser ainsi les rôles séculaires, et rejeter à l’église d’état le reproche de réduire la religion au rite, l’accusant à la fois de formalisme et de servilisme.


III.

L’évolution de l’aile gauche du schisme, des bezpopovtsy ou sans-prêtres, est plus singulière encore. De l’extrême formalisme la bezpopovstchine est en train d’aboutir au plus complet rationalisme. N’ayant plus de clergé, n’étant retenue dans l’enceinte de la tradition orthodoxe par aucune barrière hiérarchique, elle a été emportée, par la négation de l’autorité, vers les solutions les plus radicales. C’est là un phénomène récent.

Longtemps les bezpoportsy ont rivalisé avec leurs frères ennemis, les popovtsy, de fidélité à la tradition et aux rites, s’ingéniant à n’en rien omettre, en dépit de leur manque de clergé. Dans l’histoire de leurs variations, les querelles sur le rituel ont tenu une

  1. Voyez Iouzof : Rousskié Dissidenty, Starovéry i Doukhovnyé Khristiane (1881), p. 51-55.