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glorieuse : Je défends aux myopes décrire l’histoire. Qu’il s’agisse, il est vrai, de la réforme, de Maistre la jugera en myope, lorsqu’il dira avec Bonald : « La moitié de l’Europe a changé sa religion, pour qu’un moine sans mœurs épouse une nonne. » L’incontinence de Luther ira ainsi rejoindre, dans le musée des causes historiques, le nez de Cléopâtre, le grain de sable de Cromwell, et le verre d’eau de M. Scribe. M. Janssen a une conception trop pénétrante de l’histoire pour rattacher des événemens aussi généraux à des accidens si particuliers. Mais ses adversaires pourraient l’accuser, sinon de myopie, du moins de vues un peu courtes, lorsqu’il considère la réforme uniquement dans ses effets immédiats, sans tenir aucun compte de ses conséquences lointaines. « On parle, dit-il, des prétendues bénédictions de la réforme, prospérité du peuple, floraison de la science, lumières, rationalisme, liberté de conscience, etc. Les faits présentés par moi ne fournissent aucune preuve historique de ces bénédictions ; ils montrent bien plutôt, comme je le crois, d’une façon irréfutable, que ce ne sont pas ces bénédictions, mais le contraire qui est sorti des troubles religieux, de la séparation des églises et du déchirement de notre peuple en divers partis confessionnels[1]. » Rien de plus exact, ce semble, pour l’époque même ; mais ne convient-il pas de faire quelques réserves quant à l’avenir ? M. Janssen ne nous a pas encore donné ses conclusions ; le passage que nous venons de citer ne laisse guère espérer des atténuations à un jugement si absolu, vrai pour le XVIe et en partie pour le XVIIe siècle, contestable ensuite, lorsqu’on a vu se produire d’autres conséquences de la réforme. Elle présente à ses débuts le caractère des révolutions, qui est de briser les liens de l’ordre social, de rendre les hommes à leurs instincts de tigres et de singes. La religion, qui s’allie aisément à toutes les passions humaines, achève d’exaspérer la lutte. Le cours de la civilisation se trouve ainsi interrompu, et l’Allemagne sortira de sa révolution épuisée pour des siècles. Mais, à la longue, la réforme portera ses fruits. Il est permis à un catholique de voir dans l’inspiration individuelle et la liberté d’examen des fruits amers et vénéneux. Mais on ne peut méconnaître que c’est grâce à la réforme et sous le coup de l’attaque que le catholicisme s’est purifié dans sa discipline, renouvelé, rajeuni, comme aussi la société protestante s’est organisée avec une rigidité piétiste, une puritaine sévérité de mœurs telles que voltaire a pu dire : « Zwingle et Calvin ont ouvert les couvens, pour transformer en un couvent la société humaine. » Même des sectes communistes, sauvages et sanguinaires comme celle des anabaptistes, sont devenues inoffensives, douces, vouées

  1. An même Kritikter, p. 100.