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ou de tomber dans la dernière misère. « Malgré le régime des corporations, il y avait sans doute au moyen âge des souffrances, des grèves, M. Janssen l’indique dans quelques notes ; mais il serait déraisonnable d’imaginer que tout absolument était mauvais dans le passé et d’admettre que tout soit pour le mieux au temps où nous vivons. Les maux dont souffre la société contemporaine, l’énorme capital et l’énorme misère, les chômages, les grèves, les faillites fréquentes, le prolétariat, suite nécessaire du progrès industriel, protestent et crient contre les preneurs du temps actuel. La question serait seulement de savoir s’il suffirait, pour remédier à de tels maux, de réédifier la société moderne sur le modèle de l’ancienne, de combiner le système de M. de Bonald et celui de M. Le Play, de restituer le gouvernement patriarcal, l’autorité immuable, la stabilité sacrée, qui fait reposer sur la tradition le bonheur des individus et la prospérité des peuples.

Cette société, à ce moment unique de l’histoire d’Allemagne, était-elle d’ailleurs aussi florissante dans la réalité que dans ces pages de M. Janssen que nous venons de résumer ? Au lieu de distribuer en même temps sur son sujet l’ombre et la lumière, l’auteur a rejeté à la fin du volume les vices, les abus, les scandales dans l’église même, qui pouvaient ternir le tableau. Aussi cette première partie laisse-t-elle, malgré tant de faits précis, l’impression d’une île d’utopie, rêve d’un âge d’or du catholicisme. Nous nous demandions, à mesure que nous la lisions, si, en France, un partisan de l’ancien régime, aussi éclairé, aussi érudit que M. Janssen, aussi habile à grouper, à manœuvrer les documens, ne parviendrait pas à prouver de même, et cela de la meilleure foi du monde, qu’à la veille de 1789 nos ancêtres jouissaient du plus parlait bonheur, qu’ils apportaient un soin égal à l’instruction et à l’éducation chrétiennes de la jeunesse, que le meilleur esprit de famille régnait dans nos provinces, que les corporations atténuaient les misères des classes laborieuses, que les vices n’étaient qu’au sommet, à la surface, que nombre de seigneurs charitables, de prêtres, d’ordres religieux se vouaient à la pratique du bien ; .. bref que la révolution comme la réforme ont été des effets durables sans causes profondes. M. Janssen répondrait sans doute qu’il n’avance rien qu’il ne l’appuie sur un fait authentique ou généralement considéré comme tel, que la seule façon de le réfuter serait de lui opposer un nombre équivalent de documens en sens contraire. Pour être laborieuse, la tâche ne serait peut-être pas impossible. Il est d’ailleurs assez visible qu’il éprouve pour certains hommes et certaines œuvres, même secondaires du XVe siècle, ce phénomène de cristallisation qui donne tant de prestige à ce que nous