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C’est, ajoute-t-il, une législation païenne, instituée pour une société où régnait d’une part le despotisme, de l’autre l’esclavage ; l’égoïsme de l’individu, agissant dans son propre intérêt, en forme la base ; il consacre le droit illimité de propriété, l’exploitation du pauvre par le riche ; ses complications favorisèrent la chicane, le règne des hommes de loi, des avocats, plus haïs que les chevaliers brigands, le pouvoir arbitraire du souverain. En fournissant ainsi une arme formidable aux adversaires acharnés de l’église, « à tous ceux qui veulent posséder et jouir aux dépens du peuple, » les légistes ont été les puissans auxiliaires de la réforme. Les conséquences ne tardèrent pas à se produire : ce fut d’abord l’atroce guerre des paysans, puis le long despotisme des princes. — Tous les germanisans de l’école romantique, à commencer par Herder, jusqu’à des poètes contemporains, comme M. Scheffel, ont exprimé leur antipathie pour la législation romaine et déploré que l’Allemagne n’ait pas conservé ainsi que l’Angleterre son ancien droit, ses libertés gothiques, et, comme ils le disent avec un suprême dédain, « que le peuple le plus libre de la terre ait été gouverné à la façon des Welches. » À cette aversion nationale se joint, chez M. Janssen, celle du catholique, partisan non-seulement du droit féodal et de la coutume, mais de plus du gouvernement domestique et de l’autorité paternelle.

M. Janssen trouve ainsi appliqué, dans l’Allemagne du moyen âge, avant l’introduction du droit romain, tout le programme du socialisme chrétien : « L’état du moyen âge incarne en lui, pour ainsi dire, la théorie chrétienne de l’ordre social. » Aussi bienfaisante dans ses résultats que généreuse dans ses visées, elle ne tendait qu’au soulagement de la classe pauvre, à la répartition la plus juste possible des biens de la terre. Bien que M. Janssen s’abstienne d’ordinaire de rapprochemens avec le temps présent, toujours suggérés, mais point exprimés, il ne peut s’empêcher ici de comparer l’économie politique du moyen âge aux doctrines de l’école de Manchester. Le principe en était, d’après lui, infiniment plus moral que celui de la libre concurrence et du libre échange qui nous guide aujourd’hui, et qui considère « l’égoïsme de l’individu comme le plus puissant levier de la prospérité d’un état… La question de savoir si c’est réellement un bonheur que les doctrines du droit ecclésiastique et celles du droit germanique (qui lui était si étroitement uni) n’aient pu prévaloir parmi nous est suffisamment résolue par la triste situation économique des siècles suivans et particulièrement du nôtre… Livrant sans défense nos travailleurs à ceux qui les exploitent, nous les mettons dans l’alternative de se soumettre aux conditions qui leur sont faites ou d’entrer dans le Workhouse,