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divergences des jugemens. Les histoires les mieux faites nous instruisent peut-être plus sur les aspirations des contemporains que sur les âges écoulés. Tout fixé qu’il soit dans la trame des effets et des causes, le passé change d’aspect, de couleur à nos yeux, selon que des conséquences différentes et imprévues d’événemens déjà lointains se déroulent dans le présent. C’est le cas surtout de ces époques tourmentées où s’est déchirée en deux la conscience d’un peuple, lorsque la lutte entre les partis s’est perpétuée à travers les siècles et dure encore, sous forme, sinon de guerre civile, du moins de tracasseries et de vexations. Telle est la réforme en Allemagne, et telle la révolution en France. On l’a remarqué, une histoire de ces histoires refléterait fidèlement les vicissitudes, les alternatives de succès ou de défaite entre les deux armées, au moment même où les historiens écrivaient. A travers ces volumes, si sobres pourtant d’allusions aux choses de la politique actuelle, il nous semble que l’auteur est l’interprète de son parti et de son époque. Et de même que nous nous plairions à extraire des ouvrages d’un écrivain du camp opposé, M. de Treitschke ou M. de Sybel, la quintessence de l’esprit prussien, nous retrouverons aisément, chez M. Janssen, les doctrines, les tendances et le programme des catholiques allemands projetés sur le passé et l’éclairant d’une lumière nouvelle.


I

L’idéal que M. Janssen se fait de l’histoire, et qu’il indique dès sa préface, est de tout point conforme à l’évolution la plus récente du catholicisme contemporain, que nous trouvons exprimée dans ces lignes de M. Le Play : « La plupart des écrivains auxquels le public demande à tort ses notions d’histoire sont loin d’être des historiens, et l’on s’étonnera un jour qu’ils aient pu momentanément recevoir ce titre. Ils ne se proposent guère, en effet, d’exposer les vérités de la science ; ils ne tendent, à vrai dire, qu’à amuser ou à flatter leurs lecteurs,.. ils passent sous silence les faits peu dramatiques qui se rattachent à la pratique du bien et qui font naître la prospérité[1]. » Historien de l’école socialiste chrétienne, M. Janssen s’attachera à l’étude du bien et du mal social. Il place, dit-il, au second rang, dans son ouvrage, ce qu’on est convenu d’appeler les événemens importans, actions d’éclat, guerres, batailles, intrigues de cour ou de chancellerie ; il portera de préférence ses investigations sur l’état des sciences, des arts, de

  1. L’Organisation du travail, p. 51.