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démocraties, avec le régime d’universel suffrage, l’essentiel serait de captiver l’opinion, « cette reine inconstante du monde, » et, pour mieux préparer l’action du catholicisme dans l’avenir, ils s’étudient à la justifier dans le passé, à en renouveler l’histoire.

Où trouver, en effet, une apologétique plus persuasive que l’histoire, si elle nous fournissait les preuves décisives de l’action bienfaisante du catholicisme sur les sociétés humaines, si elle nous faisait toucher du doigt les résultats positifs et matériels, si elle nous démontrait jusqu’à l’évidence que la justice, la moralité, le bien-être, l’art, la science même, croissent ou décroissent dans la mesure exacte où cette religion obtient plus ou moins d’empire social ? Par là se trouveraient Victorieusement réfutés certains historiens, comme Thomas Buckle, qui ne visent à rien moins qu’à restreindre singulièrement l’influence de la religion, même sur le progrès moral.

Les nouveaux historiens du groupe catholique allemand, qui ont entrepris ce genre d’apologétique, et parmi lesquels M. Janssen, tient aujourd’hui la première place, ne présentent aucun trait commun avec le légendaire père Loriquet. Il suffit de parcourir leur annuaire historique, Historisches Jahrbuch, dirigé dans le même esprit que notre Revue des Questions historiques, pour juger avec quelle exacte méthode, avec quelle érudition puisée aux sources, ils défendent leur cause et examinent si leurs adversaires n’inclinent pas les faits vers l’esprit de parti. Les plus savans écrivent à nouveau l’histoire des époques du catholicisme sur lesquelles les historiens protestans étaient cités jusqu’alors avec autorité : M. Louis Pastor publie une Histoire des papes, sorte de contre-partie du célèbre ouvrage de M. de Ranke, et M. Janssen, dans son Histoire du peuple allemand depuis la fin du moyen âge, retrace de même les temps de la réforme avec des vues diamétralement opposées à celles de M. de Ranke, classique sur la matière. Chacun des cinq volumes déjà parus, qui vont de 1450 à 1618, a obtenu un succès considérable et soulevé parfois aussi de véritables tempêtes.

Dans les pages qui suivent, on se propose moins d’examiner l’œuvre de M. Janssen au point de vue de la critique historique, ou d’esquisser d’après lui des tableaux du XVe et du XVIe siècle, que de chercher en son œuvre une fidèle image du présent. Chez la plupart des historiens, ce sont les intérêts du temps où ils écrivent qui entrent en scène sous les costumes du passé. Chaque génération, chaque parti éprouve le besoin de refaire l’histoire à son usage propre, en l’accommodant à ses goûts et à ses idées, à ses espérances et à ses rancunes : de là cette diversité des récits, ces