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d’un lavis à l’encre de Chine ou au bistre, ce qui lui permettait d’obtenir à la fois une grande précision dans les formes et aussi une indication de l’effet, grâce aux teintes plus ou moins foncées au moyen desquelles il notait exactement la relation des ombres et des lumières.

Les dessins du Louvre, ceux du British-Museum ou du musée Teyler, à Harlem, et ceux d’autres collections encore, nous fournissent de précieuses informations sur le talent de l’artiste et sur les motifs qu’il affectionnait le plus. Les aspects divers de la dune, les bords des canaux, des intérieurs de forêts, des groupes d’arbres battus par le vent, des chaumières, des ruines ou des moulins, dessinés dans la campagne de Harlem ou le long de la côte, à Béverwyck, à Kostverloren, s’y trouvent reproduits avec une entière sincérité. Deux importans lavis à la sépia, appartenant à la collection de l’Albertine, à Vienne, permettent d’apprécier dans tout leur éclat les meilleures qualités du maître. L’un d’eux, — un motif charmant dont, à notre connaissance du moins, Ruysdael n’a pas tiré de tableau, — nous montre, au bord d’une eau calme, une tour en ruine et l’enceinte d’un château, avec des habitations de paysans pratiquées dans ses vieilles murailles, qu’envahit une riche végétation. L’autre, plus remarquable encore, est une vue prise dans la dune, dont les sables occupent le premier plan[1]. Dans la bande étroite des terrains qui s’étend au-dessus, l’artiste a su faire tenir en raccourci un immense horizon. C’est d’abord une zone de forêts que domine la silhouette compliquée d’une ville, et au-dessus encore, de vastes étendues de pays, des bois, des villages, des moulins à vent et des cours d’eau. Un grand ciel d’un beau mouvement remplit les deux tiers de la feuille et projette à travers la plaine l’ombre de ses nuages. L’aisance et la justesse extrême du dessin, la souplesse et la vérité du clair-obscur, donnent dans ce précieux croquis la plus haute idée du talent du maître et de la sûreté des indications qu’il savait prendre en face de la nature.

Ces qualités du dessinateur, nous les retrouvons à un degré pareil dans les eaux-fortes gravées par Ruysdael. M. G. Duplessis, dans l’étude qu’il en a faite[2], en compte à peine une douzaine ; encore l’attribution des trois dernières, bien qu’elles soient signées, nous semble-t-elle assez douteuse ; si elles sont du maître, elles ne

  1. Deux petits personnages placés vers la droite, l’un assis et dessinant, l’autre debout, à côté, et lui indiquant de la main un point de l’horizon, sont tous deux d’une désinvolture et d’une exécution très élégantes. En y regardant de près, on peut se convaincre qu’ils ont été ajoutés après coup, et y reconnaître la main d’un artiste du siècle dernier ; les deux figures portent d’ailleurs le costume de cette époque.
  2. Les Eaux-fortes de Ruysdael reproduites par Amand-Durand, texte par G. Duplessis, directeur du Cabinet des estampes, 1 vol. gr. in-4o ; Paris, 1878.