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d’après nature par Ruysdael dans le cimetière Israélite d’Amsterdam[1].

Il n’est guère plus heureux dans ces vues d’Amsterdam, fort rares, du reste, qu’il a probablement exécutées sur commande, tenté par le modeste salaire qu’il en pouvait tirer. Le musée de Berlin et celui de Rotterdam en possèdent chacun un exemplaire : la Vue de la place du Dam et l’Ancien marché aux poissons, à Amsterdam, deux pendans animés de nombreuses figures assez médiocrement peintes par Gérard Van Battem (musée de Berlin, n° 885 D, et musée de Rotterdam, n° 279). La facture de ces tableaux est lourde et un peu gauche, leur couleur étouffée et terne ; les ciels seuls ont les qualités habituelles du maître. On dirait que, sorti de ses chères campagnes, il se sent mal à l’aise au milieu de ces rues populeuses, parmi ces édifices aux lignes rigides, et il est loin d’atteindre la perfection et la sûreté d’un Van der Heyden ou d’un Berck-Heyde.

Laissant de côté ces œuvres sans grand caractère, nous avons hâte d’aborder maintenant les paysages purement hollandais, ceux dans lesquels apparaît toute l’originalité de Ruysdael. Si, dans ses tableaux d’architecture, il est certainement inférieur à ceux qui se sont fait de ce genre une spécialité, comme peintre de la mer, en revanche, il dépasse singulièrement tous les marinistes. Nous avons vanté ici même[2] l’impression saisissante et la facture accomplie des deux Tempêtes de la galerie de Berlin. Avec un effet moins dramatique la Marine du musée de Bruxelles n’est peut-être pas moins remarquable, et l’artiste a rendu avec une poétique fidélité l’aspect de cette eau morne et grise qui va se confondre à l’horizon avec un ciel gris et morne comme elle. Dans ses Plages, Ruysdael se montre, avec un sens un peu différent, le digne émule d’Adrien Van de Velde. La Plage du musée de La Haye, et surtout celle qui appartient au duc d’Aumale, peuvent être comptées parmi ses meilleures productions. Ces nuages rapides qu’un air irais et vif chasse devant lui en légers flocons, ces vagues courtes et pressées, couronnées d’écume, ce sable où percent çà et là quelques touffes d’une herbe maigre et sèche, ces tons mobiles et transparens, tout cela est d’une justesse surprenante. Les petits personnages qui circulent sur la grève, alertes et joyeux, ajoutent à l’animation de la scène. Par un heureux artifice, le collaborateur de Ruysdael, probablement Vermeer, les a vêtus de noir et de blanc, et ces deux notes extrêmes font encore ressortir la pâleur exquise de la tonalité générale du paysage.

  1. Le musée Teyler possède aujourd’hui ces dessins, qui ont été gravés en 1670 par Blotelingh.
  2. Voyez la Revue du 1er mai 1882.