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tous deux étaient empruntés à la même contrée. En réalité, dans la Dune et dans le Buisson, le motif est identique, mais pris à quelques pas de distance, en se retournant, et un dessin des deux tableaux m’a permis de reconnaître que la silhouette du groupe d’arbres s’y rencontre trait pour trait, absolument semblable, mais renversée. Mis en éveil par cette observation, j’ai pu retrouver encore, et sans aucune modification, la silhouette de ce même groupe dans le paysage du musée du Mans, que j’ai déjà signalé.

C’est par des études aussi suivies et aussi sincères que Ruysdael arrivait à comprendre et à exprimer le vrai caractère du paysage hollandais. Ce pays où il était né et dont il nous a laissé de si fidèles images, le maître l’a-t-il jamais quitté ? la question est délicate, et, en l’absence de documens formels, elle n’a pu être jusqu’à présent résolue d’une manière positive. Il est avéré du moins qu’il n’a pas cédé au courant de migration qui entraînait alors vers le Midi la plupart de ses confrères ; rien dans son œuvre ne justifie l’hypothèse, qui eut cours autrefois, d’un voyage en Italie, fait par lui en compagnie de son ami Berchem. C’est vers les contrées du Nord qu’il se sentait attiré, et elles lui ont fourni les motifs d’un grand nombre de ses tableaux. La similitude de ces motifs avec ceux qu’a souvent traités Everdingen a sans doute accrédité la croyance que ce dernier aurait été le maître de Ruysdael. Nous devons nous arrêter un moment aux diverses opinions professées à cet égard.

Allart Van Everdingen, né à Alkmar en 1621, avait reçu à Utrecht les leçons de Roelandt Savery, puis était venu chercher à Harlem celles de P. Molyn. Après s’être marié dans cette ville le 21 février 1645, il y avait été admis la même année dans la gilde de Saint-Luc. Il est donc difficile de supposer que Jacob Ruysdael, à peine moins âgé que lui, pouvant d’ailleurs profiter des enseignemens de son oncle et peut-être même de son père, ait été son élève. Tout au plus a-t-il subi son influence, car bien que le talent d’Everdingen soit assez inégal, celui-ci est, à ses heures, un paysagiste d’un rare mérite. Il ne s’est pas borné, ainsi qu’on est trop disposé à le croire, à la seule représentation de la nature norvégienne ; c’est un chercheur, et l’on peut voir de lui, dans la collection de M. Six, à Amsterdam, un excellent Effet d’hiver, avec un canal glacé, des roseaux jaunis et des arbres dépouillés, couverts de givre, qui s’enlèvent sur un ciel gris. L’impression de la Tempête dans le Zuyderzée, appartenant au duc d’Aumale, et qui offre une grande analogie avec un autre de ses ouvrages qui se trouve au Stœdel’s-Institut, est peut-être encore plus saisissante. Cette Tempête nous paraît le chef-d’œuvre du maître, et la poésie de cette mer houleuse, qui, par un jour d’hiver, vient battre avec fureur une plage hollandaise, atteint une puissance d’expression tout à fait pathétique. En ce qui touche ses œuvres