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places d’un maigre gazon, une route qui serpente à travers la campagne, animée çà et là par un voyageur qui se repose ou des paysans qui devisent entre eux ; quelques pauvres chaumières tapies sous des arbres rabougris, et au loin une échappée vers l’horizon bleuâtre, semé de bois ou de forêts au-dessus desquels s’élève un moulin à vent ou la tour d’une église. Les premiers plans sont d’une exécution sommaire, et les détails restent noyés dans le ton roussâtre d’une préparation sur laquelle le peintre est à peine revenu, tandis que les fonds et les arbres surtout, très scrupuleusement étudiés, montrent une coloration acre et froide et une facture appuyée, un peu pénible. Mais, dans son extrême précision, le dessin de ces arbres dénote une application d’une ténacité singulière. Les moindres branches y sont suivies dans l’enchevêtrement de leur ramure, et la dentelure compliquée de leur feuillage se découpe nettement, non sans quelque dureté, sur le ciel. Malgré l’exiguïté habituelle des dimensions de ces premiers ouvrages, la fermeté de la louche y est surprenante, et l’artiste, sévère pour lui-même, poursuit l’étude de ces végétations microscopiques avec une patience et une volonté prodigieuses. Il se familiarise ainsi peu à peu avec les divers élémens du paysage, s’attache à en exprimer la variété, en maintenant toujours la grande silhouette des « masses, malgré cette minutieuse complication des détails.

Parfois, comme dans l’Entrée de forêt du musée de Nancy, les arbres ont plus d’importance, et forment le principal intérêt du tableau. On y trouve déjà cette impression de solitude et ce charme mélancolique des jours voilés qui s’accusera de plus en plus dans les compositions du peintre. Ces simples motifs sont l’objet de ses préférences, et, sans se lasser jamais, il ne cessera plus de les reproduire. Parmi les tableaux peints dans sa jeunesse, la Dune de la Pinacothèque de Munich est un des plus remarquables. La sûreté, l’ampleur de l’exécution, la simplicité même de la donnée et le parti que Ruysdael en a tiré, m’avaient autrefois fait croire l’œuvre postérieure de beaucoup d’années[1] ; mais une étude plus attentive m’a convaincu que sa facture se rapporte à celle d’autres œuvres de cette époque maintenant mieux connue. En même temps qu’elle nous fournirait au besoin une nouvelle preuve de la précocité du talent de Ruysdael, la Dune nous apprend par quels moyens il s’est développé. Dès l’abord, l’analogie du motif avec celui du Buisson, du Louvre, m’avait frappé et démontré clairement que

  1. voir, dans la Revue, l’étude sur les Musées de Munich (15 décembre 1877) ; dans le troisième chiffre du millésime de ce tableau, chiffre à moitié effacé, on peut aussi bien lire un 4 ou un 6.