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bout. Laissant aujourd’hui de côté ces transfuges, nous voudrions nous attacher exclusivement à des peintres qui, sans s’éloigner jamais de leur patrie, ont su y découvrir cette intime poésie qu’un commerce plus familier avec la nature pouvait seul leur révéler. Parmi ceux-ci, il n’en est pas de plus justement célèbre que Jacob Ruysdael. Mais avant d’aborder l’étude de sa vie et de ses œuvres, nous avons cru bon de rechercher les enseignemens qu’il avait pu recueillir, non-seulement de ses prédécesseurs, mais des membres mêmes de sa famille. Des documens nouveaux nous ont permis de déterminer la filiation assez compliquée de cette famille et d’établir, parmi les paysagistes qu’elle a produits, des distinctions qu’il était jusqu’ici difficile de justifier.


I

Après avoir donné le spectacle de sa résistance héroïque contre l’Espagnol, la ville de Harlem était appelée à jouer un rôle décisif dans la fondation de l’école hollandaise. C’est pour les associations civiques ou charitables de Harlem que Frans Hals, avec plus d’art que n’en avaient mis ses devanciers, exécutait cette brillante série d’ouvrages qui font aujourd’hui le principal ornement du musée municipal de Harlem. Il renouvelait ainsi avec éclat un genre de peinture vraiment national et depuis longtemps populaire dans les Pays-Bas, celui des Tableaux de corporations. A son exemple, un groupe d’artistes, résidant comme lui à Harlem, allait bientôt après répudier les traditions académiques qui jusqu’alors avaient prévalu. Prenant autour d’eux leurs modèles dans la société contemporaine ou dans la nature, ils apportaient dans le choix de leurs sujets aussi bien que dans l’exécution de leurs ouvrages les qualités d’observation pénétrante, de sincérité et de véracité entières qui donnèrent à l’école sa physionomie. Pieter Molyn et Esaias Van de Velde les premiers, par l’élan qu’ils imprimaient à ce mouvement et par la confiance absolue avec laquelle ils s’avançaient dans ces voies nouvelles, y entraînaient à leur suite de nombreux imitateurs. Sans plus regarder désormais du côté de l’Italie, ils s’étaient appliqués à retracer tout ce qui, dans la campagne ou dans la vie de tous les jours, frappait leur attention. Les scènes de la vie politique, les derniers épisodes de la lutte pour l’indépendance, des embuscades, des attaques de convois, des pillages de villages ou d’habitations isolées, ou moins que cela encore, les divertissemens populaires, les aspects des marchés, des rues, des canaux, des plages ou des campagnes voisines, sollicitaient tour à tour leurs pinceaux, et ces productions d’un art si franchement hollandais étaient bien faites pour éveiller l’intérêt et mériter la sympathie de leurs