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commencé par jeter les hauts cris, le maréchal finit par donner son acquiescement.

Le commandant de Martimprey avait été envoyé d’avance à Bedeau par La Moricière, afin d’étudier le terrain et d’indiquer les emplacemens les plus favorables pour les établissemens projetés. Dans la plaine des Angad, l’attention de cet excellent officier d’état-major s’arrêta sur un mamelon couvert de débris romains, tout à côté du marabout de Lalla-Maghnia ; puis il s’occupa de reconnaître la direction de la route à suivre entre Tlemcen et Sebdou, dont le capitaine de Lourmel était chargé d’organiser les ruines. Dans ce même temps, La Moricière préparait l’installation du poste de Saïda. Ainsi, tous les anciens établissemens fondés par Abd-el-Kader et détruits par les Français étaient successivement relevés par eux-mêmes. C’était sans doute pour son orgueil une satisfaction morale ; mais il lui en fallait une autre plus profitable et plus concrète. C’était du Maroc qu’il en attendait la chance.

De la frontière son influence n’avait pas cessé de se propager dans l’empire de Mouley-Abd-er-Rahmane avec une force inquiétante pour l’empereur lui-même. Vers la fin de l’année 1843, il avait envoyé en députation à Fez Miloud-ben-Arach et Barkani, avec l’ordre de joindre aux présens qu’ils devaient offrir de sa part au sultan-chérif la demande formelle de son assistance contre les chrétiens. Entre la crainte d’Abd-el-Kader et la crainte de la France, le malheureux sultan était fort empêché ; mais les plus grandes probabilités étaient qu’il céderait plutôt à la première. C’était l’opinion de La Moricière et du maréchal Bugeaud, et ils en prévoyaient les conséquences.

« Il n’est pas douteux pour moi, écrivait, dès le 9 janvier 1844, le gouverneur au maréchal Soult, que si, pour faire face à cette intervention marocaine, nous dégarnissions les autres parties de l’Algérie, il se manifesterait à l’instant des insurrections. Abd-el-Kader ferait courir partout des émissaires pour annoncer les Marocains et inviter les peuples à la révolte. Le cas échéant, il faudrait inévitablement des renforts de France pour remplacer les vieilles troupes que nous porterions sur la frontière de l’ouest. Il ne faudrait pas moins de quatre régimens d’infanterie et un de cavalerie légère, avec des chevaux choisis. Quant au résultat d’un engagement sérieux avec les troupes de l’empereur, il ne me paraît pas douteux, quelque disproportionnés que fussent les nombres des deux armées, pourvu que je puisse réunir 8,000 ou 10,000 hommes. Un grand combat refoulerait l’armée marocaine sur son territoire, et l’autorité de cette victoire, en rétablissant les choses en Algérie, consoliderait notre puissance. Les secours occultes donnés à Abd-el-Kader pour raviver la guerre en détail, çà et là, seraient