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affirmée et soutenue par les hommes d’état prussiens depuis la création du royaume de Prusse. A ceux qui déploraient au Reichstag l’accroissement énorme des charges militaires, le maréchal de Moltke rappelait la maxime des lansquenets allemands d’autrefois, au dire desquels a les enveloppes de cartouches sont les papiers qui ont le meilleur cours. » Et pour justifier l’augmentation de l’effectif de présence de l’armée, le chef du grand état-major ajoutait, à la même séance du 4 décembre 1886 : « Les finances doivent être assurées par l’armée ; une guerre malheureuse détruit la meilleure économie financière. » Quant aux alliances, pour la défense de ses intérêts, l’Allemagne agit sagement en ne comptant pas sur des secours étrangers, un grand état existant seulement par sa propre force : Ein grosser Staat existirt nur durch seine eigene Kraft.

Ce conseil donné au peuple allemand de compter sur lui seul, le vieux maréchal de Moltke le répète en toute circonstance, chaque fois qu’il s’agit de s’imposer de nouveaux sacrifices pour l’armée. « L’armée, selon lui, est la plus élevée de toutes les institutions dans chaque pays, car elle seule rend possible l’existence de toutes les autres. » Lors des premiers débats sur la loi militaire au parlement impérial, le 16 février 1874, il a dit : « Nous ne pouvons nous abandonner à aucune illusion là-dessus ; depuis nos guerres heureuses, nous avons gagné en respect partout, nulle part en sympathie. De tous côtés, nous nous heurtons à cette idée préconçue que l’Allemagne, après être devenue puissante, pourrait être dans l’avenir un voisin mal commode. » Comme preuve à l’appui : « En Belgique, vous trouvez encore aujourd’hui des sympathies françaises ; d’allemandes, peu… En Hollande, on a commencé à rétablir la ligne d’inondation et à se fortifier à nouveau. Au Danemarck, on croit devoir augmenter la flotte pour la défense du littoral et fortifier les points de débarquement en Zélande, parce qu’on craint une invasion allemande. Tantôt nous sommes soupçonnés de vouloir conquérir les provinces russes de la Baltique, tantôt d’attirer à nous la population allemande de l’Autriche. » Quant à la France, « ce qui nous arrive de l’autre côté des Vosges, c’est un affreux cri de revanche pour la défaite appelée par ses propres fautes. »

Ainsi la France est l’épouvantait, la menace permanente évoquée devant le peuple allemand pour motiver ses armemens de plus en plus forts. Depuis les premières années du siècle, poètes et historiens rivalisent avec les hommes d’état pour désigner la nation française à l’Allemagne comme l’Erbfeind, — ennemi héréditaire ; Ennemi héréditaire ! mais l’histoire donne le témoignage que, dans les lottes déplorables engagés depuis cent ans, l’attaque est le plus